10 janvier 2025 – 16 h 41
Le souper fondu de la veille fut un mélange entre l’agréable et le désagréable. C’était le premier souper depuis le 25 décembre où je n’étais pas accompagnée de mon « plus un » aromatique et charnu, mais qu’il faisait l’honneur de sa présence à tout le reste de la tablée. C’est donc avec grâce que j’ai pu dévisser ma bouteille de vin sans alcool pour me fondre parmi les convives. À ma grande surprise, la première gorgée fut différente de celles des jours précédents. Elle me laissa entrevoir un gout plus fruité que lors de ma dernière tentative, comme si mes papilles gustatives commençaient à se résigner pour apprendre à les connaitre. Un autre miracle s’est produit lorsque j’ai précédé une gorgée de mon 0,0%-ish d’une bouchée de fromage triple crème, augmentant légèrement le plaisir dans ma région buccale. Une petite découverte d’un simili accord mets et vin que je comptais bien reproduire.
Avant d’aller plus loin, une mise en contexte s’impose. Quelque part entre 2016 et 2018, j’ai eu une chirurgie maxillofaciale. Pour les chanceux qui ne savent c’est quoi, en gros, je me suis fait cassée la mâchoire par quelqu’un avec un diplôme. C’est en étouffant les cris de mon intuition que j’ai passé sous le bistouri avec la crainte de me situer dans le faible pourcentage de gens qui perdent de la sensibilité au niveau de la région buccale. J’avais d’ailleurs passé la veille à me tapoter la lèvre « d’un coup que… ». Un coup qui est arrivé et qui me prive encore aujourd’hui des sensations d’une partie de ma lèvre, de mes gencives et de mon palet. D’ailleurs, je tiens à préciser que je me demande vraiment où ils prennent leur statistique, puisque je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire partie. Ni moi ni tous ceux que j’ai croisés qui ont eux aussi un peu peur de se baver dessus en mangeant. Toutefois, je prends désormais un plaisir malsain à me tripoter l’insensibilité pour gérer mon stress. Chose que j’ai faite autant lors du souper d’hier qu’à son anticipation.
J’ai donc navigué les pauses de cuisson de morceau de fondue en écoutant les hôtes raconter des anecdotes sur leur vie et en me faisant ma propre dégustation de vins et fromages, évitant le regard d’un vin que j’avais aimé trop longtemps. Ma vigilance faisant parfois des pauses syndicales me confrontait à mon vieil ami et son regard mélancolique (c’était peut-être le mien), me poussant à mordiller ma lèvre inférieure insensible une fois de plus.
Lors du troisième ou quatrième service, je me suis rassise à la table, fière de porter le titre de bon invité qui a desservi la table sans qu’on le lui demande. En écoutant sans écouter, j’ai observé mes partenaires de souper commencer à ramollir sur les coussins de chaises. C’est là que mes papilles ont semblé comprendre, et qu’elles ont redoublé d’efforts pour apprécier le désalcooliser. C’était plaisant, avoir toute ma tête maintenant plus de migraine. Mes regards vers mon vieil ami n’étaient désormais plus mélancoliques ni tragiques. Ils étaient perplexes, comme si j’avais appris que mon grand ami était un faux ami qui n’avait jamais été mon ami.
Au moment du cinquième service, je le regardais en me demandant pourquoi il continuait de frapper quelqu’un de plus faible que lui.
Au sixième service, j’ai souhaité à tout le monde une bonne soirée pour aller commencer ma routine dodo. Tout en relevant la tête en même temps que ma brosse à dents, j’ai croisé le regard de Rocky Balboa dans le miroir, AKA moi avec une bulle de sang sur ma lèvre indépendante qui ne communique plus avec moi. Une bulle de sang semi-imposante, que personne n’avait soulignée, qui avait peut-être échappé au regard de l’ivresse. Plutôt que de m’insurger, j’ai ri.
C’est vrai que j’étais un peu comme Rocky Balboa. Et je venais de gagner un pas pire combat.