Chapitre 8 – Soirée facile, pas facile


5 janvier 2025 – 19 h 23

C’est au courant d’une soirée que j’avais considérée comme s’annonçant facile que je me retrouve enfermé dans ma chambre à écouter plusieurs violons se dire je t’aime. Je n’avais pas prévu ressentir ce besoin d’isolement, étant entouré de personne qui constitue mon noyau de fruit parfaitement mûr. J’avais récemment pondu une réflexion qui me permettait de voir les effets de ma nouvelle sobriété sur les situations sociales moins confortables, mais je ne m’étais pas arrêté pour penser aux soirées de tous les soirs. Je ne sais pas si c’est les heures passées à magasiner entouré d’inconnu, les chiens qui jappent à une puissance trop élevée pour la grosseur de leur poumon, mais je suis une fois plus confronté à ce sentiment que tout est un peu trop. 

Comme vous avez pu le constater, depuis le Jour J, je cherche quelque chose pour remplacer mon élixir de prédilection, le vin rouge. En passant par un thé aux fruits de la passion jusqu’à une nouvelle passion, je joue aux détectives pour combler un vide que j’ai creusé pendant quelques années. 

C’est donc dans ma chambre qu’une réflexion émerge des violons pour me susurrer à l’oreille : et si l’alcool ne remplaçait absolument rien ? Mis à part le silence et parfois le bruit des violons ?

Un petit instant pour apprécié le calme du absolument rien. Absolument rien, mis à part tout simplement moi. 

Chapitre 7 – Les critères du DSM-5


5 janvier – 16 h 51

La journée où j’ai décidé d’arrêter de boire, j’ai demandé à Chat GPT de m’aider. De m’aider à me décourager de l’alcool. Même si on connait rationnellement les effets secondaires négatifs de l’alcool, on ne les connait pas vraiment. Ce que je veux dire, c’est qu’on a beau savoir qu’il parait que l’alcool nuit à la gestion de l’anxiété à long terme, par exemple, bien c’est dur de faire le 1+1 pendant que tu vis de l’anxiété un mardi à 10 h 14 sur ton lieu de travail. Ton premier réflexe, ce n’est pas de te dire que les coupes de vin d’hier nuisent ta gestion de tes émotions d’aujourd’hui. Au contraire, je me dis que j’ai donc hâte d’être chez moi pour me relaxer et finir la bouteille que j’ai entamée la veille. 

J’ai donc demandé un tas de choses à Chat GPT pour aider mon cerveau à faire ces liens-là. Je lui ai demandé de m’expliquer le lien entre l’alcool et la gestion de nos émotions, surtout la colère. Je lui ai demandé de m’expliquer c’était quoi, avoir un problème avec l’alcool. Je voulais des critères concrets qui me permettaient d’évaluer ma santé mentale comme une liste d’épicerie. Je voulais que Chat GPT me fasse un peu peur, mais qu’il me réconforte aussi. 

Les critères m’ont rassuré. Au début. Je vous dirais que quand je les analyse aujourd’hui, je me rends compte que c’est beaucoup plus complexe que de faire l’épicerie. Au maxi, tu n’as pas besoin de faire un voyage introspectif dans le temps pour savoir si la banane est dans ton panier ou non. Généralement, tu la vois assez rapidement. Sinon, tu soulèves le sac de pain tranché et le tour est joué. 

Voici les critères que m’a présentés Chat GPT, tirés tout droit du DSM-5 :

  1. Consommation excessive et incontrôlée 
  2. Tentatives infructueuses de réduire ou d’arrêter la consommation
  3. Temps excessif consacré à l’alcool 
  4. Envies intenses (craving) 
  5. Conséquences sur les obligations 
  6. Problèmes interpersonnels ou sociaux 
  7. Réduction des activités importantes
  8. Consommation dans des situations dangereuses 
  9. Poursuite malgré des problèmes de santé
  10. Tolérance 
  11. Sevrage 

Au premier regard, je ne sais pas pour vous, mais je me suis dit que les critères étaient un peu ridicules. Selon le DSM-5, il faudrait seulement deux de ces critères pour être considéré comme ayant un trouble de l’usage de l’alcool. Même Chat GPT semblait partager la même opinion que moi, en disant que le trouble de l’usage de l’alcool nécessite « que deux ou plus » des critères. Deux, ce n’est pas beaucoup. Parlons uniquement de la tolérance et du craving, par exemple. C’est facile, de les cocher, il me semble. 

Je n’ai pas l’impression que le terme du trouble de l’usage de l’alcool éveille quelque chose en moi. J’ai envie de dire que j’ai plutôt un trouble dans ma relation avec le vin rouge. Comme si lui et moi, on était dans une relation toxique depuis un peu trop longtemps. Une relation que je n’arrivais pas à quitter, trop confortablement installé sous l’étiquette du fonctionnelle

Chapitre 6 – Cauchemar en cuisine


5 janvier 2025 – 10 h 56

En 10 ans de vie commune, mon copain et moi étions les experts pour recevoir et nous partager les rôles sans rien nous communiquer. Pendant que mon cuisinier en faux congé se donnait corps et âme au fourneau pour éviter les discussions trop longues qui surf sur la vague du small talk et de l’intérêt, il équilibrait les apparitions auprès des convives et les coups de couteau sur la planche en bois. Sa présence était moins fréquente, mais il demeure toujours le centre des soirées, mesurant ses apparitions, calculant sans calculer ses anecdotes et étouffant la musique par son rire sincère et communicatif. 

De mon côté, j’occupais les convives en animant la soirée de mon son préféré : le bruit du bouchon qui quitte la bouteille de vin. Évitant de parler de moi pour créer des liens peu authentiques avec la visite, je m’assurais qu’ils se sentent bien, écouter, considérer, bref, qu’ils m’aiment. C’était donc en mettant la nappe sur la table que je croisais le visage d’un invité pour lui demander d’un sourire sincère comment allait sa vie, pour de vrai. Faisant des aller-retour à la cuisine pour un traditionnel caucus avec mon amoureux sous la hotte, je revenais toujours souriante, prête à rendre important qui en avait besoin. 

J’en aurais eu besoin. Par contre, le vin rouge prenait une place tellement importante que c’était le seul besoin qui comptait réellement. Le soir du 4 janvier, je n’avais plus de faux besoin qui noyait mes vrais besoins. C’est donc sans aucune hésitation que mon copain m’a fait une place dans sa cuisine, relayant le rôle de l’hôtesse présente à absolument personne. C’est donc avec une assurance de fer que j’ai brisé une tasse à thé jaune (ma couleur préférée) en tentant de servir le thé-passion-jour-3-sans-alcool, que j’ai échappé les flocons de piments rouges broyés dans l’huile frétillante, que j’ai raté la cuisson des pâtes en les oubliant parce que mon amoureux à ouvert mon vin préféré pour le destiné à sa seconde vie de vin de cuisson, et j’en passe. C’est donc le coeur accablé de honte que j’ai pris une pause dans ma chambre, incapable d’enfiler mes pantoufles d’hôtesse divertissante et soucieuse de ses invitées. Je vous laisse imaginer le nombre de caucus sous la hotte que mon copain a dû animer cette soirée. 

C’est donc à 21 h et après quelques « j’ai faim » que nous avons conviés nos 6 invités autour de la table avec rallonge et les chaises tout droit sorties du garage. Heureusement, tout le monde a apprécié le souper et remercié mon copain pour son talent indéniable au fourneau. Je ne peux pas leur en vouloir de ne pas avoir souligné ma contribution, puisqu’ils étaient eux aussi peu habitués à mon nouveau rôle, d’autant plus que j’ai davantage ralenti mon conjoint qui devait réparer les pots cassés que je laissais trainer derrière moi comme le petit Poucet. 

C’est à 22 h que mon copain a ouvert son cadeau de Noël comme un petit garçon le matin du 25 décembre. C’est là que j’ai dit une blague sur la nature potentielle du cadeau, que j’ai vu un échange de regard qui m’a donné envie que ma maison ne soit plus la mienne. C’est là que j’ai eu hâte qu’il n’y ait plus personne, et que je me suis dit que j’étais chanceuse quand j’avais roulé les boulettes, puisque j’avais pu me sauver pour aller pleurer en toute intimité. 

C’est vers 22 h 43 que j’ai pu aller me réfugier dans ma chambre avec un copain désemparé qui aurait aimé avoir les mots pour chasser mon chagrin. Sans le savoir, il a toutefois dit les mots que j’avais le plus besoin d’entendre après que je lui ai dit me sentir insignifiante sans lubrifiant social : « je t’aime comme ça, moi ».

 C’est vers 22 h 46 que j’ai pris conscience du malaise que j’avais envers moi-même, de la honte que j’avais de ressentir les émotions que je ressentais. 

C’est vers 23 h 03 que j’ai essayé de me convaincre que ce n’était pas égoïste d’avoir de la peine que personne n’ait essayée de s’intéresser à moi. Que c’est normal d’avoir une tempête d’émotion dans son coeur quand tu es habitué de survivre à l’être humain qui n’est pas toi ou ta personne avec l’alcool. Que sans ce lubrifiant, je n’ai pas grand-chose à dire, des fois. Que quand je n’ai pas grand-chose à dire, les gens me disent pas grand-chose. 

C’est à 23 h 08 que j’ai réalisé une infime partie du travail qui m’attendait. 

C’est aux alentours de 23 h 10 que j’ai décidé d’écrire.

C’est à 23 h 12 que j’ai commencé à écrire. Non pas une histoire inspirante, mais une histoire ordinaire d’une fille ordinaire qui essaie de faire quelque chose d’ordinaire pour bien du monde, mais de très inspirant pour elle. 

Chapitre 2 – Sober tok


4 janvier 2025 – 23 h 44

Quand j’ai décidé d’arrêter de boire, la première chose que j’ai faite, c’est d’aller consolider ma décision par des recherches scientifiques élaborées : Tik Tok. J’ai donc pris mon téléphone à deux mains, ouvert l’application et rechercher : sober tok. 

J’ai trouvé différents types de contenus, qu’on peut regrouper sous trois grandes catégories :

  1. Les alcooliques à la budweiser et à l’alcool fort ;
  2. Les gens heureux, sportifs et au teint éclaté qui énumère les effets positifs de la sobriété sur leur corps et leur vie ;
  3. Les gens qui abordent les difficultés qu’ils ont traversées dans leur parcours de sobriété. 

En ce qui concerne la première catégorie, c’était des gens qui expliquaient comment la sobriété avait changé leur vie. Ils ont passé d’une consommation journalière, du matin au soir, en enchainant les canettes de Budweiser et les petites fioles de fort. J’ai trouvé toutefois beaucoup de positif dans ce genre de vidéo. Lors de mon deuxième jour sans alcool, un vendredi, je suis tombée sur une vidéo d’un gars qui abordait la sobriété le vendredi. Une petite vidéo légère qui m’a un peu donné l’impression de faire partie d’une communauté. Je suis allée voir ses autres vidéos, mais j’avais de la difficulté à m’identifier. Dans l’une de ces dernières, il énumérait les points positifs à ne plus boire d’alcool : l’hangxiety, ne plus avoir de trou noir, ne plus avoir de tremblement, etc. 

De mon côté, ce genre de vidéo peut davantage avoir pour effet de me dire que je ne suis pas si pire que ça. Après tout, une demi-bouteille de vin par soir, ce n’est pas si pire. Les trous noirs, je n’en ai jamais eu. 

Les gens heureux, eux, m’ont fait du bien. Ils m’ont donné envie d’être inspirante. Ils expliquaient qu’ils étaient maintenant sobres depuis des années, et que ne plus boire leur a permis de réaliser un tas de choses inspirantes. Évidemment, ces récits étaient toujours accompagnés de photos prises devant un paysage époustouflant. Maintenant que j’avais choisi la sobriété, il ne restait plus qu’à compter les dodos avant que toutes ces choses se manifestent dans ma vie, passant de la randonnée pédestre au Pérou aux dégustations de thé en Thaïlande. C’est ce qui est beau, avec Tik Tok. Tout à l’aire si facile… 

Sauf avec la troisième catégorie. Eux, ils te le disent que tu vas rusher. Mais c’est correct, il faut que tu l’entendes. Ton voyage au Pérou, tu dois le mériter. J’ai vu des témoignages de personnes qui ont perdu des amis, qui ont dû reconstruire leur cercle social, refaçonner leur personnalité, et j’en passe. Toutefois, ces gens-là, c’est les vrais alcooliques. C’est ceux qui enchainent les canettes de Budweiser et les petites fioles de fort. Ce n’est pas moi. 

Ou peut-être un peu ?