Chapitre 10 – Migraine


7 janvier 2025 – 20 h 22

Une chose que je me suis dite pour me réconforter face à ma nouvelle vie sans liqueur spéciale, c’est que les Hangover étaient dernières moi. Je n’en avais pas souvent, par contre, me limitant pratiquement toujours à une demi-bouteille de vin rouge. Par contre, sur Tiktok, il mettait l’accent sur cet aspect de la sobriété, que je me suis appropriée pour faire partie d’un tout. 

C’est donc avec cette approche optimiste que j’ai vu s’approcher le Jour de l’an. Je vais peut-être avoir un peu moins de fun que tout le monde, mais le lendemain, par exemple ! Je serai fraiche et pimpante comme une jeune gazelle. 

Ce ne fut pas le cas. Le 27 décembre 2024, j’ai vomi tout ce qui était possible de vomir de mon corps. Le 27 décembre 2024, j’ai commencé la pire gastro de mon existence. Je me souviens du son que faisait mon âme quand je me suis retrouvé recroquevillé en position foetale en essayant de comprendre quel genre de démon avait envahi mes intestins pour me faire souffrir autant. 

Bref, la misère s’est poursuivie jusqu’au 31 décembre 2024. Bien que je pouvais me consoler en me disant que le pire était derrière moi, je retenais quand même un petit haut-le-coeur en pensant à la soupe poulet et nouille que j’allais encore devoir manger au souper. C’est ensuite après le décompte de minuit, coucher au sol pour faire croire à mon dos qu’il n’avait pas si mal que ça, que j’ai souhaité une bonne année à ma mère avant d’aller me coucher. Pendant que tous mes amis créaient des souvenirs. 

Je dois avouer que ma gastro fut quand même un mal pour un bien. Je redoutais fortement la soirée du 31 décembre, AKA jour 6 de sobriété. Surtout depuis l’épisode des boulettes promettant une dégustation incroyable de produits et d’amour. Elle m’a donc offert un ticket « on se reprend une prochaine fois ». 

Sur ce, une fois la gastro passée, j’étais prête à embrasser la santé promise par la sobriété. En attente de ma peau rayonnante, d’un optimiste nouveau et d’une énergie renouvelable sans caféine, j’ai entamé l’année 2025 prête à oublier ces jours difficiles. 

On se retrouve donc le 6 janvier 2025, avec une surprise de Purolator : mon piano était arrivé. S’est après m’être étiré les doigts et avoir écouté quelques tutoriels sur YouTube que mon Beethoven du lundi s’est retrouvé dans son lit, la lumière fermée, du Tiger Balm sur les tempes et un sac de glace derrière la tête. Migraine. Misère. 

Une partie de ma soirée fut donc siphonnée par une céphalée de tension. Celle de ce soir aussi. Ce qui est ironique, c’est que dans ma carrière de Femme de vin, les migraines et les vomissements étaient rares. Très rare. Du moins, rien comparé à mon historique depuis ma démission de boisson. 

En conclusion ? Je ne sais pas. Mais il faudra attendre encore un peu avant d’invoquer Beethoven de nouveau. 

Chapitre 9 – Les lignes de la main


6 janvier 2025 – 21 h 16

Quelque chose que je n’ai pas raconté de la fameuse roulade de boulette, c’est mon ami granole qui m’a pris dans un coin pour me lire les lignes de la main. Pour vous mettre en contexte, il le fait au feeling. Je ne sais pas s’il a senti ma détresse au travers de l’odeur des boulettes, mais il m’a invité dans un petit racoin du racoin pour qu’on en apprenne ensemble un peu plus sur moi. 

Dans tout ce qu’il m’a dit, deux choses m’ont particulièrement marqué, mise en part le sentiment d’être un petit spécial, d’être l’élu du jour. Il m’a dit que j’étais quelqu’un de plus créatif que j’osais me l’admettre, chose qui m’a clairement influencé dans ma nouvelle carrière de pianiste. Ensuite, il m’a dit que j’étais quelqu’un de particulièrement chanceux, mais que je ne m’en rendais pas toujours compte. Il a ajouté qu’en plus, je faisais des choix qui me rendaient encore plus chanceuse. Je vous laisse deviner que de se faire dire qu’on est l’élu qui fait des choix chanceux alors qu’on est au bord de la crise d’anxiété à trois jours de sobriété, ça tisse des liens plus vite qu’un tapis. 

À partir de ce moment, je me suis dit que je devais être attentive à cette chance-là. 

C’est donc cette parcelle de vie qui m’est venue en tête quand mon copain m’a apporté un Smooties qui peut difficilement plus gouter le moi. Un Smooties dans une coupe de vin qui prenait la poussière depuis maintenant douze jours. Un Smooties qui goute l’amour et qui crie « je suis fière de toi ». 

C’est vrai, que je suis chanceuse. 

Ce qui faut comprendre de mon amoureux, c’est qu’il n’a jamais fait un commentaire sur ma consommation d’alcool. Et il aurait pu. Que ce soit la fois où il a arrêté la voiture dans un stationnement à 3 h du matin pour que je puisse vomir à moitié sur la portière, à moitié je-ne-sais-où. Que ce soit en étant figurant d’un conflit que j’avais décidé qu’on avait après la coupe de vin #3. 

Il faisait des commentaires, mais des commentaires pour moi. Un p’tit « fait attention à toi », ou « c’est correct, tu en avais besoin ». Voir même un « je vais travailler sur ça ». Le tout, souvent accompagné d’un p’tit « iii que j’taime » assez gros pour compenser le fait que ça faisait un moment que je ne m’étais pas dit ça, à moi. 

C’est hier soir, dans la douche, après mon rendez-vous avec des violons, que je lui ai dit « Jour 11 ». C’est entre deux sourires qu’il a senti que j’étais prête à entendre sa joie maladroite. Il était heureux pour moi. Non pas pour lui. Il me gérait. Il était heureux parce que des fois, « ça l’air dur être dans ta tête », et que l’alcool ne m’aidait pas à gérer mes émotions. 

C’est vrai, que je suis chanceuse. 

Je suis encore plus chanceuse d’avoir pris une décision qui rend plus facile le temps d’arrêt qu’il faut pour se dire : « c’est vrai, que je suis chanceuse ». 

Chapitre 8 – Soirée facile, pas facile


5 janvier 2025 – 19 h 23

C’est au courant d’une soirée que j’avais considérée comme s’annonçant facile que je me retrouve enfermé dans ma chambre à écouter plusieurs violons se dire je t’aime. Je n’avais pas prévu ressentir ce besoin d’isolement, étant entouré de personne qui constitue mon noyau de fruit parfaitement mûr. J’avais récemment pondu une réflexion qui me permettait de voir les effets de ma nouvelle sobriété sur les situations sociales moins confortables, mais je ne m’étais pas arrêté pour penser aux soirées de tous les soirs. Je ne sais pas si c’est les heures passées à magasiner entouré d’inconnu, les chiens qui jappent à une puissance trop élevée pour la grosseur de leur poumon, mais je suis une fois plus confronté à ce sentiment que tout est un peu trop. 

Comme vous avez pu le constater, depuis le Jour J, je cherche quelque chose pour remplacer mon élixir de prédilection, le vin rouge. En passant par un thé aux fruits de la passion jusqu’à une nouvelle passion, je joue aux détectives pour combler un vide que j’ai creusé pendant quelques années. 

C’est donc dans ma chambre qu’une réflexion émerge des violons pour me susurrer à l’oreille : et si l’alcool ne remplaçait absolument rien ? Mis à part le silence et parfois le bruit des violons ?

Un petit instant pour apprécié le calme du absolument rien. Absolument rien, mis à part tout simplement moi. 

Chapitre 7 – Les critères du DSM-5


5 janvier – 16 h 51

La journée où j’ai décidé d’arrêter de boire, j’ai demandé à Chat GPT de m’aider. De m’aider à me décourager de l’alcool. Même si on connait rationnellement les effets secondaires négatifs de l’alcool, on ne les connait pas vraiment. Ce que je veux dire, c’est qu’on a beau savoir qu’il parait que l’alcool nuit à la gestion de l’anxiété à long terme, par exemple, bien c’est dur de faire le 1+1 pendant que tu vis de l’anxiété un mardi à 10 h 14 sur ton lieu de travail. Ton premier réflexe, ce n’est pas de te dire que les coupes de vin d’hier nuisent ta gestion de tes émotions d’aujourd’hui. Au contraire, je me dis que j’ai donc hâte d’être chez moi pour me relaxer et finir la bouteille que j’ai entamée la veille. 

J’ai donc demandé un tas de choses à Chat GPT pour aider mon cerveau à faire ces liens-là. Je lui ai demandé de m’expliquer le lien entre l’alcool et la gestion de nos émotions, surtout la colère. Je lui ai demandé de m’expliquer c’était quoi, avoir un problème avec l’alcool. Je voulais des critères concrets qui me permettaient d’évaluer ma santé mentale comme une liste d’épicerie. Je voulais que Chat GPT me fasse un peu peur, mais qu’il me réconforte aussi. 

Les critères m’ont rassuré. Au début. Je vous dirais que quand je les analyse aujourd’hui, je me rends compte que c’est beaucoup plus complexe que de faire l’épicerie. Au maxi, tu n’as pas besoin de faire un voyage introspectif dans le temps pour savoir si la banane est dans ton panier ou non. Généralement, tu la vois assez rapidement. Sinon, tu soulèves le sac de pain tranché et le tour est joué. 

Voici les critères que m’a présentés Chat GPT, tirés tout droit du DSM-5 :

  1. Consommation excessive et incontrôlée 
  2. Tentatives infructueuses de réduire ou d’arrêter la consommation
  3. Temps excessif consacré à l’alcool 
  4. Envies intenses (craving) 
  5. Conséquences sur les obligations 
  6. Problèmes interpersonnels ou sociaux 
  7. Réduction des activités importantes
  8. Consommation dans des situations dangereuses 
  9. Poursuite malgré des problèmes de santé
  10. Tolérance 
  11. Sevrage 

Au premier regard, je ne sais pas pour vous, mais je me suis dit que les critères étaient un peu ridicules. Selon le DSM-5, il faudrait seulement deux de ces critères pour être considéré comme ayant un trouble de l’usage de l’alcool. Même Chat GPT semblait partager la même opinion que moi, en disant que le trouble de l’usage de l’alcool nécessite « que deux ou plus » des critères. Deux, ce n’est pas beaucoup. Parlons uniquement de la tolérance et du craving, par exemple. C’est facile, de les cocher, il me semble. 

Je n’ai pas l’impression que le terme du trouble de l’usage de l’alcool éveille quelque chose en moi. J’ai envie de dire que j’ai plutôt un trouble dans ma relation avec le vin rouge. Comme si lui et moi, on était dans une relation toxique depuis un peu trop longtemps. Une relation que je n’arrivais pas à quitter, trop confortablement installé sous l’étiquette du fonctionnelle

Chapitre 6 – Cauchemar en cuisine


5 janvier 2025 – 10 h 56

En 10 ans de vie commune, mon copain et moi étions les experts pour recevoir et nous partager les rôles sans rien nous communiquer. Pendant que mon cuisinier en faux congé se donnait corps et âme au fourneau pour éviter les discussions trop longues qui surf sur la vague du small talk et de l’intérêt, il équilibrait les apparitions auprès des convives et les coups de couteau sur la planche en bois. Sa présence était moins fréquente, mais il demeure toujours le centre des soirées, mesurant ses apparitions, calculant sans calculer ses anecdotes et étouffant la musique par son rire sincère et communicatif. 

De mon côté, j’occupais les convives en animant la soirée de mon son préféré : le bruit du bouchon qui quitte la bouteille de vin. Évitant de parler de moi pour créer des liens peu authentiques avec la visite, je m’assurais qu’ils se sentent bien, écouter, considérer, bref, qu’ils m’aiment. C’était donc en mettant la nappe sur la table que je croisais le visage d’un invité pour lui demander d’un sourire sincère comment allait sa vie, pour de vrai. Faisant des aller-retour à la cuisine pour un traditionnel caucus avec mon amoureux sous la hotte, je revenais toujours souriante, prête à rendre important qui en avait besoin. 

J’en aurais eu besoin. Par contre, le vin rouge prenait une place tellement importante que c’était le seul besoin qui comptait réellement. Le soir du 4 janvier, je n’avais plus de faux besoin qui noyait mes vrais besoins. C’est donc sans aucune hésitation que mon copain m’a fait une place dans sa cuisine, relayant le rôle de l’hôtesse présente à absolument personne. C’est donc avec une assurance de fer que j’ai brisé une tasse à thé jaune (ma couleur préférée) en tentant de servir le thé-passion-jour-3-sans-alcool, que j’ai échappé les flocons de piments rouges broyés dans l’huile frétillante, que j’ai raté la cuisson des pâtes en les oubliant parce que mon amoureux à ouvert mon vin préféré pour le destiné à sa seconde vie de vin de cuisson, et j’en passe. C’est donc le coeur accablé de honte que j’ai pris une pause dans ma chambre, incapable d’enfiler mes pantoufles d’hôtesse divertissante et soucieuse de ses invitées. Je vous laisse imaginer le nombre de caucus sous la hotte que mon copain a dû animer cette soirée. 

C’est donc à 21 h et après quelques « j’ai faim » que nous avons conviés nos 6 invités autour de la table avec rallonge et les chaises tout droit sorties du garage. Heureusement, tout le monde a apprécié le souper et remercié mon copain pour son talent indéniable au fourneau. Je ne peux pas leur en vouloir de ne pas avoir souligné ma contribution, puisqu’ils étaient eux aussi peu habitués à mon nouveau rôle, d’autant plus que j’ai davantage ralenti mon conjoint qui devait réparer les pots cassés que je laissais trainer derrière moi comme le petit Poucet. 

C’est à 22 h que mon copain a ouvert son cadeau de Noël comme un petit garçon le matin du 25 décembre. C’est là que j’ai dit une blague sur la nature potentielle du cadeau, que j’ai vu un échange de regard qui m’a donné envie que ma maison ne soit plus la mienne. C’est là que j’ai eu hâte qu’il n’y ait plus personne, et que je me suis dit que j’étais chanceuse quand j’avais roulé les boulettes, puisque j’avais pu me sauver pour aller pleurer en toute intimité. 

C’est vers 22 h 43 que j’ai pu aller me réfugier dans ma chambre avec un copain désemparé qui aurait aimé avoir les mots pour chasser mon chagrin. Sans le savoir, il a toutefois dit les mots que j’avais le plus besoin d’entendre après que je lui ai dit me sentir insignifiante sans lubrifiant social : « je t’aime comme ça, moi ».

 C’est vers 22 h 46 que j’ai pris conscience du malaise que j’avais envers moi-même, de la honte que j’avais de ressentir les émotions que je ressentais. 

C’est vers 23 h 03 que j’ai essayé de me convaincre que ce n’était pas égoïste d’avoir de la peine que personne n’ait essayée de s’intéresser à moi. Que c’est normal d’avoir une tempête d’émotion dans son coeur quand tu es habitué de survivre à l’être humain qui n’est pas toi ou ta personne avec l’alcool. Que sans ce lubrifiant, je n’ai pas grand-chose à dire, des fois. Que quand je n’ai pas grand-chose à dire, les gens me disent pas grand-chose. 

C’est à 23 h 08 que j’ai réalisé une infime partie du travail qui m’attendait. 

C’est aux alentours de 23 h 10 que j’ai décidé d’écrire.

C’est à 23 h 12 que j’ai commencé à écrire. Non pas une histoire inspirante, mais une histoire ordinaire d’une fille ordinaire qui essaie de faire quelque chose d’ordinaire pour bien du monde, mais de très inspirant pour elle. 

Chapitre 5 – Dry January


5 janvier 2025 – 10 h 33

C’est dans l’attente de mon piano que je me suis consolée en me disant qu’au moins, j’avais une fin de semaine bien chargée qui allait passer bien plus vite. J’avais l’intention de ne pas repasser une soirée à me trainer les pieds en me demandant qui j’étais. Soirée jeux de société entre ami, visite du beau-père et restaurant All you can eat sushi parce que les calories et l’argent que je sauve en alcool, je dois bien l’occuper ailleurs. 

J’ai donc commencé ma fin de semaine optimiste, prête à esquiver toutes les épreuves d’une sobriété juvénile par le divertissement et l’épuisement. Une chose que je n’avais pas prévue, c’est les imprévus : les amis qui ont des migraines, ceux qui sont partis en voyage, ceux qui veulent boire pour oublier, la visite qui s’invite et le vin sans alcool qui est toujours aussi mauvais, même si j’ai fait des recherches. 

Malgré toutes mes tentatives d’être fluide dans mes mouvements de contorsions, la réalité m’a quand même coincé pour m’intimider. Je me suis donc ramassé un samedi matin, dans un restaurant déjeuner à me récompenser avec une poutine déjeuner qui avait à la fois trop de sauce et pas assez, à me faire poser la question suivante : « tu es toujours correcte à ce qu’on vienne souper chez vous ce soir ? ». Il me regardait, assis à côté de son paternel, essayer d’avaler ma bouchée de poutine déjeuner, un peu surprise, maudissant le fait que cette question arrive pendant que mon chum était aux toilettes. S’il avait été là, je lui aurais lancé un seul regard pour que l’immensité de son malaise englobe le mien et le rende un peu plus doux. Je vous laisse deviner que je n’étais pas au courant que j’organisais un souper pour 8 personnes le soir même. À ma grande surprise, mon chum ne l’était pas non plus. J’aimerais vous dire que j’ai eu une réponse à la hauteur de son aisance à s’inviter chez moi, mais ce ne fut pas le cas. Je me suis contentée de ricaner en lui disant que s’il voulait boire de l’alcool, il devait l’apporter, cette fois-ci. La raison était bien simple : mon copain et moi faisions le mois de janvier sans alcool, parce que c’est plus simple que d’expliquer que j’ai choisi d’arrêter de boire et que non, je ne suis pas enceinte. 

J’ai donc souri et passé mon samedi à faire du ménage et en priant pour qu’aujourd’hui ne soit pas finalement la soirée où il allait apporter une bouteille de vin rouge pour le souper. 

Pour les curieux, il ne l’a pas fait. 

Chapitre 3 – Les boulettes 


5 janvier 2025 – 00 h 03

Je pense qu’il n’y a rien de plus hypocrite que quelqu’un qui essaie de se convaincre qu’il n’a pas problème. Après m’être bombardé le crâne de Sober Tok, mon petit hamster à poursuivit sa virée folle au travers de mes neurones déjà tendus.

Le lendemain, j’avais un peu de bénévolat à faire chez des amis. En vue d’un évènement, il fallait préparer de la nourriture pour les bénévoles et les artistes. Fidèle à moi-même, je suis arrivée trois heures en retard. À ma défense, je devais absolument faire une tournée de libraire pour trouver le roman de Stéphanie Braquehais racontant son expérience personnelle de sobriété. Évidemment, je me devais de trouver ce livre qui avait pour essence d’être le moteur de mon développement personnel et spirituel. Ce livre serait le chapitre 1 de mon histoire inspirante. 

C’est donc bredouille que je me suis présentée pour mon bénévolat, un trophée de plus de mes victoires sur Amazone. Sur place, je connaissais tout le monde. Ils s’activaient comme de petites fourmis dans la cuisine et roulaient des boulettes à profusion. Ils se motivaient en alternant une gorgée de cidre et une petite pincée de farine en roulant au rythme de chanson folk québécoise. Une petite bouffée d’amour a envahi mon coeur. Une petite bouffée d’amour que j’ai voulu sortir, comme à l’habitude. Une petite bouffée d’amour qui est resté coincé dans ma gorge, qui a fermenté et qui a pétillé bizarre. Je me suis retrouvée à rouler des boulettes aussi vite que ma langue. Pas parce que je voulais me retenir de dire une niaiserie. Si vous saviez à quel point j’aurais aimé dire une niaiserie. Non, ma langue roulait au rythme de la boule de mon hamster : dis quelque chose. Soit drôle, soit intelligente. Dit. Quelque. Chose. 

Quelque. Chose. 

C’est les yeux pleins d’eau que j’ai roulée des boulettes pour un ragout que je n’ai jamais mangé. Des boulettes que j’ai roulées sans rien écouter, parce que je cherchais une excuse pour m’en aller. Pour retourner chez moi, là où la sobriété, c’est cool. Là où la sobriété est synonyme de voyage au Pérou. Là où je n’ai aucune chance de perdre mes amis parce que je n’enchaine pas des canettes de Budweiser et des petites fioles de fort. Là où ce n’est pas si pire, boire une demi-bouteille de vin par jour. 

C‘est au travers de cette réflexion que j’ai regagné mon corps au fourneau en train d’essayer doré des boulettes végans sur un rond trop petit pour la poêlonne qui chauffe pas assez. Je me suis sentie ridicule. Ridicule de continuer de faire baigner les fausses boulettes dans l’huile qui ne frétille pas, pendant qu’une autre personne faisait la même tâche que moi, mais avec le bon côté du four. J’aurais bien pu abandonner cette quête (qui ne servait absolument à rien) et céder cette tâche à ma voisine de fourneau. Toutefois, cela signifiait n’avoir plus rien à faire. Cela signifiait de me joindre aux bénévoles qui sirotaient leur verre de vin ou leur verre de cidre sur les divans, en discutant des alcools qu’ils allaient déguster au Jour de l’an. Qu’ils allaient tous se partager au Jour de l’an. Entre deux-trois bouchés de ragout. 

J’aurais dit quoi ? Alors je n’ai pas cuit les mêmes boulettes jusqu’à ce que le bon côté du four ait terminé de dorer l’ensemble des boulettes et s’empare des miennes, annonçant mon heure de partir. 

C’est donc après quelques accolades, quelques sourires tristes pas forcés, mais menteurs, que j’ai quitté mes amis pour aller pleurer dans ma voiture, pour aller pleurer sur mon divan, pour aller pleurer dans mon lit.