Chapitre 21 — Un peu plus d’amour

1er mars 2025 – 20 h 02

Ça fait un moment que je n’ai pas pris le temps de m’arrêter pour écrire. Pendant quelque temps, je me suis dit que c’était peut-être parce que je ressentais davantage le besoin d’écrire quand ça n’allait pas. Ça voulait donc dire que ça allait bien. 

C’est vrai, que ça allait bien. Du lundi au vendredi. Au travail, j’ai consacré toute mon énergie à développer des projets qui me stimulent. À la maison, j’ai joué à des jeux de société, j’ai trouvé une vraie bonne série, je me suis ouvert à mes proches. J’ai même recommencé à lire. J’ai gardé des enfants. Je n’ai pas arrêté de « bien aller ». 

Du lundi au vendredi. 

Les samedis, c’était la journée où la fatigue de la semaine me rattrapait, et que l’huissier venait me délivrer les « je dormirai plus en fin de semaine ». J’ai changé de personnalité pour devenir la fille qui fait des siestes. De longues siestes. Du samedi au dimanche. Ça allait un peu moins bien, mais j’étais trop fatigué pour dire que ça n’allait pas, parce que j’étais trop fatigué pour penser que ça n’allait pas. Le dimanche, ça allait un peu mieux. Mais je devais tout préparer pour trop en faire du lundi au vendredi. 

Je suis encore fatiguée. Mon corps a oublié que j’avais un réveil matin pour me prévenir qu’il fallait se lever. Je pense qu’il a trop hâte de « bien aller ». Il ouvre les yeux et se dit « pourquoi pas commencer tout de suite ? ». Je me suis fixé des objectifs, et il a peur de me décevoir. 

Je pense que j’ai voulu aller trop bien rapidement, et que j’ai oublié qu’il n’y a rien qui presse. J’ai voulu tout donner du lundi au vendredi, et j’en ai perdu mes samedis et dimanches. Je me suis mis à tout faire en accéléré sans y réfléchir plus, comme si le simple fait d’arrêter de boire avait ouvert la porte du potentiel et pavé le chemin de l’extraordinaire. J’ai trop pensé à ce qui était inutile, et j’ai bougé pour ne pas penser à l’essentiel. Pour ne pas penser à moi. 

C’est vrai que c’est fatigant d’être toujours dans sa tête sans y être vraiment. 

Cette semaine, j’ai célébré mon deuxième mois sans alcool. Ce mois-ci, j’ai célébré plein de petites victoires, et je pense qu’il est temps que je me donne un peu plus d’amour. 

Chapitre 20 – Désalcoolisé

2 février 2025 – 16 h 17

Pour suivre ma progression dans le chemin de la sobriété, j’ai téléchargé une application qui compte les jours pour moi, tout en m’attribuant des badges de dopamine pour souligner les étapes que je franchis. En plus de compter les jours, je lui ai demandé de calculer les économies que je faisais maintenant que je n’accompagnais plus mes soirées de coupes de vin rouge. Au Jour 0, mon portefeuille était un élément motivateur pour franchir le cap crucial des premiers. Après tout, il faut bien le payer, ce voyage dans les montages du Pérou. 

Bref, selon mon application, je suis maintenant à 380 $ d’économies. Si on soustrait mon piano, le thé, mes patins, et tout ce qui se rattache à ma quête de passion, je ne sais plus si on peut parler d’économies. Par contre, c’est certain que c’est plus constructif de me dire que mon argent a été investi dans des loisirs plus nobles qui ont meublé au moins trois grosses soirées de mon existence. Cela étant dit, je ne peux nié avoir un petit côté impulsif, qui se faisait soulager par des arômes d’aromatique et charnu. Dans tous les cas, ces petits investissements se voulaient un petit un coup à donner pour investir dans ma nouvelle personnalité libre. Je me disais donc qu’au fil du temps, tout cela aller se rééquilibrer. 

Récemment, j’ai toutefois été confronté au deuil d’un portefeuille plus garni. Et je ne parle ici des tarifs douaniers de Donald Trump. J’ai naïvement cru que d’arrêter l’alcool, c’était vraiment d’arrêter de boire, mais accompagné un bon repas d’un bon breuvage, c’est le fun, et le thé, ça ne fait pas des miracles non plus. J’ai donc redoublé d’ardeur dans ma quête de produit désalcoolisé pour me permettre de profiter des mêmes petits plaisirs de la vie qu’avant, hangxiety en moins. 

C’est dans cet élan que je me suis présentée, hier après-midi, dans ma microbrasserie préférée appelée par leur nouvelle publicité invitant le public à venir essayer leur nouvelle bière sans alcool. Pour mettre en contexte, on était le 1er février, le premier jour du défi 28 jours sans alcool. J’étais donc vraiment excitée de retrouver des bribes de mon ancienne vie. Tout était loin d’être négatif avec l’alcool, et les soirées en microbrasserie faisaient souvent partie des beaux souvenirs. 

C’est avec un optimiste nouveau que j’ai arpenté les rues d’un quartier qui m’avait manqué. Un petit arrêt dans une boutique de thé plus tard, je croisais une pancarte indiquant « tout pour l’apéro, du vin jusqu’au fromage ». Comme le quartier inspire les produits du terroir et les belles résolutions, j’ai décidé d’aller jeter un œil, pour rapidement me rendre compte que le tout pour l’apéro était de la fausse publicité. J’allais devoir retourner choisir entre les deux seuls vins rouges désalcoolisés de la SAQ. J’ai toutefois repris la route, m’accrochant à mon objectif principal de la journée : la sure framboise gingembre. 

Arrivée sur place, j’ai dû attendre un peu trop longtemps pour deux menus différents. Un premier pour le groupe, et un second parce que la serveuse ne pouvait me parler des produits désalcoolisés et du produit pourtant mis en vedette. Les bières sans alcool occupaient une petite section dans un menu à part. À part, un peu comme moi. Le même menu que j’avais. Autrefois jugé parce qu’il contenait la carte de cocktails, et je me disais « qui peut bien aller en microbrasserie pour boire un cocktail ». J’étais maintenant celle de « l’autre menu ». 

Ensuite, j’ai vu ma table recevoir leur bière en fut, et même leur entrée, avant ma bière en canette. Même chose pour la table derrière moi, arrivée après nous. J’ai finalement décidé de me lever, pour comprendre que ma bière 0,0 % n’avait pas été commandé. Je comprends, des oublis, ça arrive. J’ai donc recommandé ma bière, pour recevoir un peu plus tard une bière en canette qui n’était pas celle que je voulais. La serveuse a rapidement versé le quart de la canette que je ne voulais pas dans mon verre, déposant les deux morceaux de mon apéro sur la table. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me chante la sérénade pour s’excuser de l’attente, mais un regard ou la bonne commande, ça aurait été apprécié. Sachez d’ailleurs que je viens d’une famille de cuisinier. La restauration, je respecte ça, et j’ai comme mot d’ordre de ne jamais être la cliente la désagréable. Je me suis donc dit que je pouvais prendre ma sure framboise gingembre pour apporté, et gouté celle qui flottait dans le verre devant moi. Après tout, je pouvais moyennement me permettre d’attendre un autre 20 minutes pour ma consommation, quand ma table s’approchait de plus en plus de la facture. Toutefois, ce n’est pas tous les produits désalcoolisés qui sont bons, et celui-là en était la preuve. 

C’est donc gêné que je suis retournée voir la serveuse pour lui dire qu’elle m’avait apporté l’autre bière sans alcool, celle d’une microbrasserie invitée. Elle m’a donc donné la bonne canette, et je suis retournée à ma table pour constater que je n’avais pas de verre. Il était toujours occupé par l’autre sure. En quelques gorgées, j’ai vidé le verre pour finalement apprécier la bière que je voulais depuis ce matin. Je n’ai pas été déçu d’ailleurs, elle était bonne. L’avoir reçu en même temps que tout le monde, n’avoir pas eu a demandé « l’autre menu », je me serais peut-être senti comme tout le monde, comme avant. Quand j’ai dû argumenter avec la serveuse pour ne pas payer la bière que je n’avais jamais demandée, insinuant que j’aurais dû ne pas vider le verre et boire directement dans la canette, je ne me suis pas sentie comme avant. J’ai compris que je ne me sentirais plus jamais comme avant. 

Je m’en suis voulu. Je m’en suis voulu de n’avoir jamais écouté la petite voix dans ma tête qui me disait qu’elle n’avait pas vraiment envie de boire, mais que je le faisais quand même. Je m’en voulais d’avoir tout bu l’alcool que j’aurais pu boire aujourd’hui. 

C’est ce qui est le plus difficile, quand on arrête de boire. Il faut tout changer. Je n’étais pas prête à autant changer, et à ce que tout change autant.

Désalcoolisé ne devrait pas rimer avec démoralisé. 

Chapitre 19 – L’antonyme de l’isolement

25 janvier — 18 h 32

L’une de mes craintes par rapport à la sobriété, c’était l’isolement. J’ai d’ailleurs vécu beaucoup de moments où j’aurais voulu être ailleurs, et ce « ailleurs » incluait souvent une position fœtale.

Hier soir, j’avais une seconde soirée avec des amis, mais pas les mêmes amis que la veille. Le genre d’ami qu’on aime, mais qu’on ne sait pas jusqu’où on peut aller. Pour calmer mon anxiété à la pensée d’une soirée sans lubrifiant social, je suis arrivée avec un sac réutilisable remplie d’une sélection de bière sans alcool et un faux vin rouge qui goutait l’eau. 

C’est après m’être servi une coupe de vin rouge qui ne goute pas le vin rouge que je me suis installée sur le divan, prête à me fondre dans la masse. En étant attentive aux gens dans la même pièce que moi, j’ai remarqué que j’étais l’une des seules qui avaient l’air de boire de l’alcool. Je me suis demandé si c’était arrivé souvent, avant, que je sois l’une des seules à boire de l’alcool. Si ça m’était arrivé d’être trop absorbé part ma propre consommation, que je n’avais pas pris le temps de bien regarder les gens autour de moi. 

C’est les mots « tu fais une pause d’alcool ? » qui m’ont sortie de ma réflexion. Ces mots, qui étaient d’ailleurs libres de jugement, étaient adressés à mon copain qui sirotait une canette nous permettant de lire « BIÈRE SANS ALCOOL ». 

Grâce à mes pratiques devant mon clavier et ma transparence gagnante de la veille, j’ai parlé d’alcool. J’ai eu envie de dire que, moi aussi, je ne bois pu d’alcool. J’ai eu envie de m’ouvrir là-dessus, et je l’ai fait. Cela a enclenché un paquet de confidence réciproque sur l’excès, la dépendance, la santé et plein de sujets qu’on n’avait jamais abordés ensemble. J’ai nommé des choses différemment, peut-être parce que c’était à voix haute. En trente minutes, j’ai appris sur moi-même et j’ai appris sur eux. J’ai passé une belle soirée, je n’ai pas eu envie de boire. 

J’ai surfé sur cette vague toute la soirée et toute la journée d’aujourd’hui. Je n’ai pas vécu d’ennui, je ne me suis pas sentie grise. Je me suis entourée de mon foyer. On a dansé, on a fait du ménage, on a chanté, on a cuisiné. J’ai ri, j’ai eu du plaisir. J’ai créé un beau moment et j’en ai profité. 

Dans les dernières années, je pense que je me suis perdue. J’ai dû en perdre des occasions de créer de vrais liens. 

Depuis les dernières semaines, je pense que je me retrouve de plus en plus. Je saisis les occasions de créer de vrais liens. 

Et si c’était l’alcool qui isolait ?

Chapitre 18 – Une belle émotion

25 janvier 2025 – 17 h 45

Ce qui est positif avec le fait d’écrire, c’est qu’on devient un peu plus à l’aise à mettre des mots sur des émotions pour les propulser ensuite par l’entremise des cordes vocales. J’ai donc opté pour la transparence en appuyant sur la fonction message vocale pour dire à mes amis que j’étais en route vers le restaurant et que je n’allais pas très bien. J’avais peur. 

Pour vous mettre en contexte, ma matinée avait été exigeante. J’avais animé une cuisine collective avec un groupe que je ne connaissais pas. J’ai naïvement insinué qu’une recette était facile, chose à ne pas dire avant d’être sur que son Chef la considère comme telle. J’ai donc eu le droit à un « non, ce n’est pas facile, ma belle ». J’aimerais ici préciser que l’emploi du compliment « ma belle » ne pouvait qu’être sarcastique, puisque je venais de me renverser environ 1KG d’œuf entier liquide en tentant de transvider une poche de 20KG dans un chaudron qui ne pouvait clairement pas contenir une telle quantité. Mes biceps non plus, d’ailleurs. J’ai ensuite eu droit à des reproches puisque je n’avais pas les ingrédients nécessaires pour le plan B qui a été décidé simultanément lors de l’emploi du fameux « ma belle ». Bien que l’après-midi fut moins éprouvant, je l’ai vécu couvert du malaise de l’avant-midi et d’œufs croutés. 

J’avais donc envie d’une coupe de vin. Très envie. D’autant plus que j’étais en route vers un restaurant qui vous demande si vous voulez une coupe de vin pour commencer avant même de vous dire bonjour. J’avais peur. Pas peur de céder, j’allais être entourée de personne qui était au courant de ma démarche. J’avais peur d’avoir mal par en dedans et d’être incapable de passer une bonne soirée. Peur d’être pu comme avant, et qu’ils m’aiment un peu moins. 

Je n’étais plus comme avant. De si peu, mais de tellement à la fois. 

Cette peur se confirmait aussi à l’aide de mon algorithme qui me montrait de plus en plus de témoignages. Évidemment, ils finissaient souvent avec la petite mention « j’ai perdu de faux amis, mais j’en ai gagné des vrais ». J’avais beau me rationaliser en me disant que cette expérience ne pouvait qu’être un filtre positif, j’espérais tellement que mes amis soient mes vrais amis.

Approximativement 1 h 30 plus tard, ma voix tremblait et mes larmes menaçaient de couler. J’étais en train de leur dire que depuis le début de ma sobriété, je vivais une gamme d’émotions prévisibles, mais surprenantes en même temps. Avoir dissocié une partie du souper en pensant à ma coupe de vin qui aurait si bien accompagné les anecdotes de mes amis et mon bol de pâte qui manquait d’assaisonnement, ça m’en faisait vivre, des émotions.

Mais de les voir tous autour de moi, un mocktail de solidarité à la main, ça m’en faisait vivre des encore plus fortes. De m’ancrer un peu plus dans le moment présent, de relâcher les épaules et d’avoir un aperçu de la vie qui pouvait m’attendre si je continuais le chemin que j’avais entamé, ça me donnait des frissons. 

J’ai quitté le restaurant le cœur 100 plus léger qu’en y entrant. 

C’est vrai que la sobriété fait vivre un paquet d’émotions, et j’étais dû pour une belle émotion. En plus, celle-ci n’était pas sarcastique. Contrairement à ma robe en laine, elle n’était pas couverte d’œuf entier liquide. Heureusement, je l’avais oublié pendant le souper, juste un peu avant de lâcher prise, juste un peu avant d’oublier le vin. 

Chapitre 17 – Un peu gris


21 janvier  2025 – 22 h 17

La semaine dernière, j’ai parlé d’ennui. Depuis, j’ai pu bénéficier de quelques soirées non alcoolisées pour étudier ce sentiment, qui semblait plus grand que le mot en lui même. Je réalise qu’il y a quelque chose de plus profond à l’ennui lorsqu’on explore la sobriété.

C’est après quelques soirées assises sur mon tabouret pas confortable à faire tout et rien à la fois que j’en suis venu à la conclusion que l’ennui était une conséquence de quelque chose d’encore plus grand. Depuis le 26 décembre 2024, je cherche à combler mes soirées d’une nouvelle passion, d’apprentissage, d’expériences enrichissantes. Par contre, je n’ai pas pris le temps de vraiment me poser la question essentielle : d’où venait cette envie, d’où venait ce besoin de me servir une coupe de vin dès mon retour du travail ? Ce n’était pas la quête d’une passion, d’apprentissage ni d’expériences enrichissantes. 

Lorsque je rentrais du travail, j’avais un profond besoin de prendre du temps pour moi. C’est ainsi que je le nommais. C’est donc assis devant la télévision, une coupe de vin à la main, que je rechargeais mes batteries avant d’attaquer les tâches quotidiennes du soir. Parfois, il me suffisait d’un seul épisode. Parfois, je me rendais à trois coupes de vin et plusieurs péripéties de personnages de télévision avant de sentir le petit regain d’énergie qu’il me fallait pour vider ma boite à lunch.

Je ne veux pas insinuer que j’étais lâche. À ma défense, je tentais de composer avec le stress quotidien relié à la vie d’adulte, un emploi qui banalise et valorise la surcharge de travail et un restant de burn-out pas traité que je trainais depuis l’Université. 

C’est vrai, que j’avais besoin de repos. Je me reposais de la seule façon que je connaissais, de la seule façon que je connais. 

Je ne suis donc plus certaine que c’est vraiment l’ennui qui m’habite les jours de semaine, entre 16 h et 20 h. C’est plutôt un sentiment d’ambigüité face à un repos que je ne sais plus comment m’accorder, que je ne me suis jamais réellement accordé. 

Je n’ai jamais vraiment appris à prendre soin de moi. Mon point dans le dos qui élance sur mon petit tabouret sans dossier constitue, selon moi, une preuve évidente de mon incompétence. 

Ce n’est pas que je ne sais pas comment prendre soin de moi. Comme tout le monde, j’ai entendu parler des bienfaits de la méditation, du yoga, du bain chaud, du sport, etc. Par contre, quand tu es habitué à prendre soin de toi sans effort (mis à part un arrêt à la SAQ), tu ne sais plus trop où aller puiser cette force-là. Du moins, pas après une grosse journée qui t’a amené à dépenser une bonne partie de ta réserve d’initiative. Tu te retrouves donc dans ta cuisine à attendre miraculeusement que ta jauge de joie de vivre se remplisse d’elle-même pour commencer le souper. Mais ça n’arrive pas. Et tu te rends vite compte que les activités qui te faisaient autrefois plaisir te semblent un peu grises. 

Je trouve que tout est un peu gris. Mais avant, tout était trop rouge

Je me sens un peu grise, mais je sais que je vais voir de belles couleurs bientôt. Le seul hic, c’est que je ne sais pas comment les dessiner, que les crayons semblent un peu lourds et que j’ai mal aux poignets. 

Chapitre 16 – L’amour


18 janvier 2025 – 13 h 37

J’ai toujours trouvé que c’était plus facile de donner et de recevoir de l’amour sous l’effet de l’alcool. Je n’ai jamais été quelqu’un de très confortable avec le contact physique. Ce n’est pas que je n’en ai pas envie, mais j’éprouve un certain inconfort à prendre quelqu’un dans mes bras, à répondre aux élans de tendresse. Et il y a quelque chose d’encore plus inconfortable au fait d’être quelqu’un qui prend peu les gens dans ses bras, et qui prend finalement quelqu’un dans ses bras. 

Outre le contact physique, je ne suis pas nécessairement celle qui fait les meilleurs suivis auprès des gens que j’aime. Par contre, je blâme un peu le TDAH. Répondre à mes messages, ce n’est pas mon fort. Quand je prenais le temps de mettre à jour mes conversations entamées, mais jamais terminées, c’était souvent au retour du travail, sur mon divan, une coupe de vin à la main. C’était là que les « tu me manques » et les « je t’aime » s’écrivaient plus facilement. C’était aussi là que j’organisais des plans avec des amis que je n’avais pas vus depuis longtemps et que je me prévoyais une semaine épuisante à devoir planifier des imprévus pour me souffler des moments de ressourcements dans tout ce social qui était définitivement trop pour moi. C’était aussi après une coupe de vin que j’avais envie de me coller sur le divan, que j’avais envie de prendre mon amie dans mes bras avant qu’elle ne retourne chez elle, que j’avais envie de serrer ma sœur dans mes bras quand elle rentrait du travail. 

J’étais donc consciente qu’en arrêtant l’alcool, j’allais devoir réapprendre à donner et à recevoir de l’amour. C’était dans ma to do list de travail sur moi que je savais que la sobriété allait me donner, probablement dès le jour 1. En fait, j’avais un peu peur de perdre ces moments d’amour facile. 

Par contre, comme dirait mon ami granole qui a lu mes lignes de la main, je suis peut-être quelqu’un de chanceux qui fait des choix chanceux, parce que j’ai reçu beaucoup d’amour depuis que j’ai arrêté de boire. J’ai reçu de longs messages d’amis qui nous ont fait débloquer un niveau supérieur d’amitié. J’ai reçu des confidences et je me suis confiée différemment, sincèrement. Depuis que j’ai arrêté de boire, ma sœur s’est improvisée mixologue et a maintenant pour mission de faire les meilleurs mocktails du monde, pour que le verre que j’ai à la main ne soit jamais une source de regret. Depuis que j’ai arrêté de boire, j’ai des amis qui m’ont dit « je vais faire un p’tit bout avec toi, ça me ferait du bien, à moi aussi ». J’ai reçu des invitations à des soirées autrement apéro, maintenant eau pétillante. J’ai croisé aussi des regards fiers, bien qu’un peu humide. 

Bref, j’ai reçu un tas de « je t’aime » sous différentes formes. Des « je t’aime » qui apaisent les envies de boire, qui épongent les larmes lors des soirées difficiles. 

Ces « je t’aime » que j’imagine toutefois sonner un peu faux. L’inconfort ne partira pas comme ça. Le travail ne fait que commencer. Mais arrêter de boire, c’est le plus beau des je t’aime que j’aurais pu me donner, et il faut bien commencer quelque part.

Chapitre 15 – L’ennui


15 janvier 2025 – 18 h 18

Lorsque j’ai pris la décision de sauter dans le train de la sobriété, j’avais anticipé un certain nombre d’épreuves : les annonces, les soirées entre amis, les soupers de famille, et j’en passe. J’avais anticipé beaucoup de choses, sauf le fait que j’allais baisser ma garde plus les jours allaient avancer. C’est peut-être l’accumulation de victoires ou le fait de penser un peu moins au nombre de jours que j’ai passés sans alcool, mais je me sentais forte. 

Le petit mardi soir d’hier, je l’ai trouvé tough. Pourtant, ça faisait une semaine déjà que la routine avait repris. Un semblant de routine, c’est vrai. J’avais occupé ma vie pour ne pas m’occuper la bouche de vin. Hier soir, c’était une soirée où je n’avais rien prévu, mis à part du repos. 

C’est dur, de se reposer, quand tu ne sais plus comment te détendre sans une coupe de vin. J’ai essayé de faire autre chose, mais le piano était trop dans le chemin, le thé était soudainement trop long à préparer, le garde mangé trop vide pour avoir envie de cuisiner… Bref. J’ai essayé d’aller marcher, mais les chiens jappaient trop. C’était gênant, pas relaxant. J’ai pris un bain, mais il y a quelque chose qui m’écœure dans le fait de baigner dans mon jus. Quand il y a les bulles, j’avoue que c’est divertissant, mais elles ne restent pas longtemps. Quand t’es capable de te voir tout nu, couché, pas gracieux, t’as fait le tour. 

C’est donc après avoir fait le tour du bain, de ma maison, de ma tête et de mes options, que je me suis dit que dans le fond, ce n’était pas si grave, une coupe de vin. Que ce n’est pas juste nuisible, ça l’a du bon. C’est vrai que les retours de journée difficile se faisaient mieux. Une petite coupe, une petite série et c’est reparti. Bon, ce n’était peut-être pas constructif, mais je n’avais pas la sensation que j’ai en ce moment dans le haut de mon corps. L’impression d’être un peu fâché, d’être irrité. Comme si j’étais pogné dans le trafic et que j’étais attendu quelque part. J’aimerais que ça avance, mais ça n’avance pas. Il faudrait que ça avance, mais ça n’avance pas. Le vin sans alcool, c’est un peu le raccourci que tu prends pour éviter le bouchon qui te rattrape finalement la rue d’après. Tout aussi irritant, voir un peu plus, parce que t’as fait une manoeuvre semi-dangereuse pour faire demi-tour et quitter la file qui n’avance pas pour rejoindre l’autre file qui n’avance pas plus.

J’ai envie de vous dire que je me suis concentrée sur tout le positif que ma sobriété nouvelle m’apporte, et que j’ai changé le mood de ma soirée, reprenant la quête de ma nouvelle personnalité accompagnée de passion. Ce ne fut pas le cas. Je me suis couchée avec le sentiment d’avoir mis ma soirée à la poubelle, d’avoir acheté un piano pour rien, de ne pas être à la hauteur de rien. 

La veille, j’écrivais un chapitre sur la colère. Sur la colère qui te transforme quand t’as bu. Ce soir, je n’ai pas bu, et pourtant je ressens de la colère. 

Je me sens pris dans le trafic, et ça avance pas assez vite. Je n’avais pas anticipé ces longueurs, je n’avais pas anticipé l’ennui. 

Chapitre 13 – Rocky Balboa


10 janvier 2025 – 16 h 41

Le souper fondu de la veille fut un mélange entre l’agréable et le désagréable. C’était le premier souper depuis le 25 décembre où je n’étais pas accompagnée de mon « plus un » aromatique et charnu, mais qu’il faisait l’honneur de sa présence à tout le reste de la tablée. C’est donc avec grâce que j’ai pu dévisser ma bouteille de vin sans alcool pour me fondre parmi les convives. À ma grande surprise, la première gorgée fut différente de celles des jours précédents. Elle me laissa entrevoir un gout plus fruité que lors de ma dernière tentative, comme si mes papilles gustatives commençaient à se résigner pour apprendre à les connaitre. Un autre miracle s’est produit lorsque j’ai précédé une gorgée de mon 0,0%-ish d’une bouchée de fromage triple crème, augmentant légèrement le plaisir dans ma région buccale. Une petite découverte d’un simili accord mets et vin que je comptais bien reproduire. 

Avant d’aller plus loin, une mise en contexte s’impose. Quelque part entre 2016 et 2018, j’ai eu une chirurgie maxillofaciale. Pour les chanceux qui ne savent c’est quoi, en gros, je me suis fait cassée la mâchoire par quelqu’un avec un diplôme. C’est en étouffant les cris de mon intuition que j’ai passé sous le bistouri avec la crainte de me situer dans le faible pourcentage de gens qui perdent de la sensibilité au niveau de la région buccale. J’avais d’ailleurs passé la veille à me tapoter la lèvre « d’un coup que… ». Un coup qui est arrivé et qui me prive encore aujourd’hui des sensations d’une partie de ma lèvre, de mes gencives et de mon palet. D’ailleurs, je tiens à préciser que je me demande vraiment où ils prennent leur statistique, puisque je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire partie. Ni moi ni tous ceux que j’ai croisés qui ont eux aussi un peu peur de se baver dessus en mangeant. Toutefois, je prends désormais un plaisir malsain à me tripoter l’insensibilité pour gérer mon stress. Chose que j’ai faite autant lors du souper d’hier qu’à son anticipation.

J’ai donc navigué les pauses de cuisson de morceau de fondue en écoutant les hôtes raconter des anecdotes sur leur vie et en me faisant ma propre dégustation de vins et fromages, évitant le regard d’un vin que j’avais aimé trop longtemps. Ma vigilance faisant parfois des pauses syndicales me confrontait à mon vieil ami et son regard mélancolique (c’était peut-être le mien), me poussant à mordiller ma lèvre inférieure insensible une fois de plus. 

Lors du troisième ou quatrième service, je me suis rassise à la table, fière de porter le titre de bon invité qui a desservi la table sans qu’on le lui demande. En écoutant sans écouter, j’ai observé mes partenaires de souper commencer à ramollir sur les coussins de chaises. C’est là que mes papilles ont semblé comprendre, et qu’elles ont redoublé d’efforts pour apprécier le désalcooliser. C’était plaisant, avoir toute ma tête maintenant plus de migraine. Mes regards vers mon vieil ami n’étaient désormais plus mélancoliques ni tragiques. Ils étaient perplexes, comme si j’avais appris que mon grand ami était un faux ami qui n’avait jamais été mon ami. 

Au moment du cinquième service, je le regardais en me demandant pourquoi il continuait de frapper quelqu’un de plus faible que lui. 

Au sixième service, j’ai souhaité à tout le monde une bonne soirée pour aller commencer ma routine dodo. Tout en relevant la tête en même temps que ma brosse à dents, j’ai croisé le regard de Rocky Balboa dans le miroir, AKA moi avec une bulle de sang sur ma lèvre indépendante qui ne communique plus avec moi. Une bulle de sang semi-imposante, que personne n’avait soulignée, qui avait peut-être échappé au regard de l’ivresse. Plutôt que de m’insurger, j’ai ri. 

C’est vrai que j’étais un peu comme Rocky Balboa. Et je venais de gagner un pas pire combat. 

Chapitre 12 – Un vin de cuisson à 18,50 $


9 janvier 2025 – 17 h 49

Vers 16 h, j’ai reçu un message texte me demandant si je voulais bien me joindre à un souper de fondue. Le repas qui se mange cuisson de morceau par cuisson de morceau, laissant place à des minutes de dégustation de vin entre chacun. En guise de réponse, j’ai fait un petit coup de volant, direction la triste étagère de vin sans alcool de la SAQ. 

Sans grande surprise, j’ai pu vivre un dilemme face à l’immense collection de trois bouteilles de vin rouge qui allaient, de toute façon, probablement gouter autant la déception les unes que les autres. J’ai donc profité de la vague de changement qu’apporte la sobriété pour m’emparer d’un vin blanc sans alcool. Après tout, on change ou on ne change pas ! 

Le trajet en voiture jusqu’à mon rendez-vous chez le docteur de cou soulageur de migraine fut pénible. Un étrange mélange entre la recherche de stratégie pour boire et ne pas boire. Difficile de me l’admettre, mais je conduisais la gorge serrée et les papilles gustatives confuses qui réclamaient une coupe de la bouteille de vin qui m’attendaient sur la table de cuisine de mes hôtes. 

Comble de la détresse, je me suis présentée à un rendez-vous qui n’était finalement pas le mien, comprenant que le bouton de confirmation m’avait probablement échappé. Heureusement que mon copain avait cédulé un rendez-vous suivant mon rendez-vous qui était en fait le rendez-vous d’une autre. Ainsi, j’ai pu lui annoncer que ma migraine de trois jours me faisait gagner le concours de celui qui en avait le plus besoin. Il était hors de question que je repasse une soirée sans alcool sans pouvoir me dire qu’au moins, je n’allais pas avoir mal à la tête le lendemain. 

Cette séance de douleur qui faisait du bien après coup m’a permis de prendre des forces pour le souper en longueur qui s’en venait. Le souper qui seulement en y pensant, me donnait envie de boire une coupe de vin pour survivre au fait que j’allais devoir annoncer que je n’allais pas prendre de vin. Pas ce soir, ni demain. Une annonce que je devais faire avec fermeté pour éviter les « t’es sur ? » entre chaque service, mais avec non-chalence pour éviter une enquête sur de potentiels problèmes drastiques qui auraient pu me conduire à une décision si drastique. Le tout accompagné d’un sourire qui doit refléter une sincérité et une paix d’esprit que je n’ai pas connu depuis je-ne-sais-quand. 

Le second coup de volant m’a conduit au dépanneur près de chez moi, voulant m’offrir une gâterie plus savoureuse que le vin un peu trop cher qui était probablement en train d’aérer. Après deux trois tours de rangée non fructueux, je suis retournée à ma voiture prête à décorer mon volant de tâche de doigt orange aux crottes de fromages qui goutent beaucoup moins bon que dans mes souvenirs. 

Tout ça avant de faire mon annonce et voir la bouteille de vin qui m’était offerte, la même qui était samedi dernier devenue un vin de cuisson. Quelle ironie qui fait mal. 

Chapitre 11 – Beethoven


8 janvier 2025 – 16 h 36

Le 6 janvier 2025 fut le jour où j’ai reçu mon piano. Malgré une migraine qui me collait aux talons depuis l’heure du diner, c’est avec excitation que j’ai déballé toutes les boites contenant un morceau de ma nouvelle passion. C’est sans prendre la peine d’installer mon piano à un endroit stratégique et esthétique que je me suis installée au beau milieu de la salle à manger. 

J’étais prête. 

J’ai ressorti un tutoriel de pianiste du dimanche consulté dans les jours d’attentes pour entamer le premier exercice que j’avais déjà pratiqué en tapotant mes doigts sur l’ilot de ma cuisine. C’est en contenant mon impatience que j’ai commencé, me balançant de droite à gauche sur mon petit banc neuf comme le ferait un véritable artiste enivré par sa mélodie comme je l’étais par ma coupe de vin.  

Le premier exercice a mis en scène ma main droite, prête à danser avec nouvel ami. Même si la synchronisation n’était pas au rendez-vous, je me répétais qu’il n’y a rien que la pratique ne peut arranger. C’était jusqu’à ce que ma main gauche prenne le relai. La pauvre. 

Le gars du tutoriel m’avait bien prévenu, le petit doigt et son acolyte à côté, ils ont de la misère à se séparer. Il avait raison, sauf que les miens, c’est pire qu’une petite misère. Mon petit doigt et mon annulaire vivent une relation de codépendance qui embrasse la toxicité. Évidemment, je ne me suis pas laissé décourager par ce petit imprévu. Ma persévérance avait grandi au rythme des heures d’attentes à actualiser le site de Puralator. 

Après des minutes qui m’ont semblé des heures, j’ai réussi à faire l’exercice de façon fluide tout en reprenant mon balancement d’artiste. Au moment de coordonner mes deux mains, mon manque d’adresse était semblable à Joey dans Friends qui essaie de parler français. Un désastre total, comme si nous n’avons pas répété ces mouvements depuis la dernière heure.  

Je me suis donc retrouvée sur mon petit banc neuf qui ne balançait plus à maudire ma main gauche. C’est en la regardant pour mieux l’haire que j’ai senti une bouffée de compassion pour cette main maladroite qui essayait tant bien que mal de faire ce à quoi on s’attend d’elle. C’est dans une caresse de ma main droite que j’ai dit à main gauche qu’elle avait bien travaillé, et que j’ai laissé le contrôle de ma soirée à ma migraine qui luttait pour me border dans mon lit. C’est dans mon lit que j’ai poursuivi mon analogie anatomique, donnant l’amour et la compassion que j’avais oublié de me donner à ma main gauche.