Chapitre 8 – Soirée facile, pas facile


5 janvier 2025 – 19 h 23

C’est au courant d’une soirée que j’avais considérée comme s’annonçant facile que je me retrouve enfermé dans ma chambre à écouter plusieurs violons se dire je t’aime. Je n’avais pas prévu ressentir ce besoin d’isolement, étant entouré de personne qui constitue mon noyau de fruit parfaitement mûr. J’avais récemment pondu une réflexion qui me permettait de voir les effets de ma nouvelle sobriété sur les situations sociales moins confortables, mais je ne m’étais pas arrêté pour penser aux soirées de tous les soirs. Je ne sais pas si c’est les heures passées à magasiner entouré d’inconnu, les chiens qui jappent à une puissance trop élevée pour la grosseur de leur poumon, mais je suis une fois plus confronté à ce sentiment que tout est un peu trop. 

Comme vous avez pu le constater, depuis le Jour J, je cherche quelque chose pour remplacer mon élixir de prédilection, le vin rouge. En passant par un thé aux fruits de la passion jusqu’à une nouvelle passion, je joue aux détectives pour combler un vide que j’ai creusé pendant quelques années. 

C’est donc dans ma chambre qu’une réflexion émerge des violons pour me susurrer à l’oreille : et si l’alcool ne remplaçait absolument rien ? Mis à part le silence et parfois le bruit des violons ?

Un petit instant pour apprécié le calme du absolument rien. Absolument rien, mis à part tout simplement moi. 

Chapitre 7 – Les critères du DSM-5


5 janvier – 16 h 51

La journée où j’ai décidé d’arrêter de boire, j’ai demandé à Chat GPT de m’aider. De m’aider à me décourager de l’alcool. Même si on connait rationnellement les effets secondaires négatifs de l’alcool, on ne les connait pas vraiment. Ce que je veux dire, c’est qu’on a beau savoir qu’il parait que l’alcool nuit à la gestion de l’anxiété à long terme, par exemple, bien c’est dur de faire le 1+1 pendant que tu vis de l’anxiété un mardi à 10 h 14 sur ton lieu de travail. Ton premier réflexe, ce n’est pas de te dire que les coupes de vin d’hier nuisent ta gestion de tes émotions d’aujourd’hui. Au contraire, je me dis que j’ai donc hâte d’être chez moi pour me relaxer et finir la bouteille que j’ai entamée la veille. 

J’ai donc demandé un tas de choses à Chat GPT pour aider mon cerveau à faire ces liens-là. Je lui ai demandé de m’expliquer le lien entre l’alcool et la gestion de nos émotions, surtout la colère. Je lui ai demandé de m’expliquer c’était quoi, avoir un problème avec l’alcool. Je voulais des critères concrets qui me permettaient d’évaluer ma santé mentale comme une liste d’épicerie. Je voulais que Chat GPT me fasse un peu peur, mais qu’il me réconforte aussi. 

Les critères m’ont rassuré. Au début. Je vous dirais que quand je les analyse aujourd’hui, je me rends compte que c’est beaucoup plus complexe que de faire l’épicerie. Au maxi, tu n’as pas besoin de faire un voyage introspectif dans le temps pour savoir si la banane est dans ton panier ou non. Généralement, tu la vois assez rapidement. Sinon, tu soulèves le sac de pain tranché et le tour est joué. 

Voici les critères que m’a présentés Chat GPT, tirés tout droit du DSM-5 :

  1. Consommation excessive et incontrôlée 
  2. Tentatives infructueuses de réduire ou d’arrêter la consommation
  3. Temps excessif consacré à l’alcool 
  4. Envies intenses (craving) 
  5. Conséquences sur les obligations 
  6. Problèmes interpersonnels ou sociaux 
  7. Réduction des activités importantes
  8. Consommation dans des situations dangereuses 
  9. Poursuite malgré des problèmes de santé
  10. Tolérance 
  11. Sevrage 

Au premier regard, je ne sais pas pour vous, mais je me suis dit que les critères étaient un peu ridicules. Selon le DSM-5, il faudrait seulement deux de ces critères pour être considéré comme ayant un trouble de l’usage de l’alcool. Même Chat GPT semblait partager la même opinion que moi, en disant que le trouble de l’usage de l’alcool nécessite « que deux ou plus » des critères. Deux, ce n’est pas beaucoup. Parlons uniquement de la tolérance et du craving, par exemple. C’est facile, de les cocher, il me semble. 

Je n’ai pas l’impression que le terme du trouble de l’usage de l’alcool éveille quelque chose en moi. J’ai envie de dire que j’ai plutôt un trouble dans ma relation avec le vin rouge. Comme si lui et moi, on était dans une relation toxique depuis un peu trop longtemps. Une relation que je n’arrivais pas à quitter, trop confortablement installé sous l’étiquette du fonctionnelle

Chapitre 6 – Cauchemar en cuisine


5 janvier 2025 – 10 h 56

En 10 ans de vie commune, mon copain et moi étions les experts pour recevoir et nous partager les rôles sans rien nous communiquer. Pendant que mon cuisinier en faux congé se donnait corps et âme au fourneau pour éviter les discussions trop longues qui surf sur la vague du small talk et de l’intérêt, il équilibrait les apparitions auprès des convives et les coups de couteau sur la planche en bois. Sa présence était moins fréquente, mais il demeure toujours le centre des soirées, mesurant ses apparitions, calculant sans calculer ses anecdotes et étouffant la musique par son rire sincère et communicatif. 

De mon côté, j’occupais les convives en animant la soirée de mon son préféré : le bruit du bouchon qui quitte la bouteille de vin. Évitant de parler de moi pour créer des liens peu authentiques avec la visite, je m’assurais qu’ils se sentent bien, écouter, considérer, bref, qu’ils m’aiment. C’était donc en mettant la nappe sur la table que je croisais le visage d’un invité pour lui demander d’un sourire sincère comment allait sa vie, pour de vrai. Faisant des aller-retour à la cuisine pour un traditionnel caucus avec mon amoureux sous la hotte, je revenais toujours souriante, prête à rendre important qui en avait besoin. 

J’en aurais eu besoin. Par contre, le vin rouge prenait une place tellement importante que c’était le seul besoin qui comptait réellement. Le soir du 4 janvier, je n’avais plus de faux besoin qui noyait mes vrais besoins. C’est donc sans aucune hésitation que mon copain m’a fait une place dans sa cuisine, relayant le rôle de l’hôtesse présente à absolument personne. C’est donc avec une assurance de fer que j’ai brisé une tasse à thé jaune (ma couleur préférée) en tentant de servir le thé-passion-jour-3-sans-alcool, que j’ai échappé les flocons de piments rouges broyés dans l’huile frétillante, que j’ai raté la cuisson des pâtes en les oubliant parce que mon amoureux à ouvert mon vin préféré pour le destiné à sa seconde vie de vin de cuisson, et j’en passe. C’est donc le coeur accablé de honte que j’ai pris une pause dans ma chambre, incapable d’enfiler mes pantoufles d’hôtesse divertissante et soucieuse de ses invitées. Je vous laisse imaginer le nombre de caucus sous la hotte que mon copain a dû animer cette soirée. 

C’est donc à 21 h et après quelques « j’ai faim » que nous avons conviés nos 6 invités autour de la table avec rallonge et les chaises tout droit sorties du garage. Heureusement, tout le monde a apprécié le souper et remercié mon copain pour son talent indéniable au fourneau. Je ne peux pas leur en vouloir de ne pas avoir souligné ma contribution, puisqu’ils étaient eux aussi peu habitués à mon nouveau rôle, d’autant plus que j’ai davantage ralenti mon conjoint qui devait réparer les pots cassés que je laissais trainer derrière moi comme le petit Poucet. 

C’est à 22 h que mon copain a ouvert son cadeau de Noël comme un petit garçon le matin du 25 décembre. C’est là que j’ai dit une blague sur la nature potentielle du cadeau, que j’ai vu un échange de regard qui m’a donné envie que ma maison ne soit plus la mienne. C’est là que j’ai eu hâte qu’il n’y ait plus personne, et que je me suis dit que j’étais chanceuse quand j’avais roulé les boulettes, puisque j’avais pu me sauver pour aller pleurer en toute intimité. 

C’est vers 22 h 43 que j’ai pu aller me réfugier dans ma chambre avec un copain désemparé qui aurait aimé avoir les mots pour chasser mon chagrin. Sans le savoir, il a toutefois dit les mots que j’avais le plus besoin d’entendre après que je lui ai dit me sentir insignifiante sans lubrifiant social : « je t’aime comme ça, moi ».

 C’est vers 22 h 46 que j’ai pris conscience du malaise que j’avais envers moi-même, de la honte que j’avais de ressentir les émotions que je ressentais. 

C’est vers 23 h 03 que j’ai essayé de me convaincre que ce n’était pas égoïste d’avoir de la peine que personne n’ait essayée de s’intéresser à moi. Que c’est normal d’avoir une tempête d’émotion dans son coeur quand tu es habitué de survivre à l’être humain qui n’est pas toi ou ta personne avec l’alcool. Que sans ce lubrifiant, je n’ai pas grand-chose à dire, des fois. Que quand je n’ai pas grand-chose à dire, les gens me disent pas grand-chose. 

C’est à 23 h 08 que j’ai réalisé une infime partie du travail qui m’attendait. 

C’est aux alentours de 23 h 10 que j’ai décidé d’écrire.

C’est à 23 h 12 que j’ai commencé à écrire. Non pas une histoire inspirante, mais une histoire ordinaire d’une fille ordinaire qui essaie de faire quelque chose d’ordinaire pour bien du monde, mais de très inspirant pour elle. 

Chapitre 5 – Dry January


5 janvier 2025 – 10 h 33

C’est dans l’attente de mon piano que je me suis consolée en me disant qu’au moins, j’avais une fin de semaine bien chargée qui allait passer bien plus vite. J’avais l’intention de ne pas repasser une soirée à me trainer les pieds en me demandant qui j’étais. Soirée jeux de société entre ami, visite du beau-père et restaurant All you can eat sushi parce que les calories et l’argent que je sauve en alcool, je dois bien l’occuper ailleurs. 

J’ai donc commencé ma fin de semaine optimiste, prête à esquiver toutes les épreuves d’une sobriété juvénile par le divertissement et l’épuisement. Une chose que je n’avais pas prévue, c’est les imprévus : les amis qui ont des migraines, ceux qui sont partis en voyage, ceux qui veulent boire pour oublier, la visite qui s’invite et le vin sans alcool qui est toujours aussi mauvais, même si j’ai fait des recherches. 

Malgré toutes mes tentatives d’être fluide dans mes mouvements de contorsions, la réalité m’a quand même coincé pour m’intimider. Je me suis donc ramassé un samedi matin, dans un restaurant déjeuner à me récompenser avec une poutine déjeuner qui avait à la fois trop de sauce et pas assez, à me faire poser la question suivante : « tu es toujours correcte à ce qu’on vienne souper chez vous ce soir ? ». Il me regardait, assis à côté de son paternel, essayer d’avaler ma bouchée de poutine déjeuner, un peu surprise, maudissant le fait que cette question arrive pendant que mon chum était aux toilettes. S’il avait été là, je lui aurais lancé un seul regard pour que l’immensité de son malaise englobe le mien et le rende un peu plus doux. Je vous laisse deviner que je n’étais pas au courant que j’organisais un souper pour 8 personnes le soir même. À ma grande surprise, mon chum ne l’était pas non plus. J’aimerais vous dire que j’ai eu une réponse à la hauteur de son aisance à s’inviter chez moi, mais ce ne fut pas le cas. Je me suis contentée de ricaner en lui disant que s’il voulait boire de l’alcool, il devait l’apporter, cette fois-ci. La raison était bien simple : mon copain et moi faisions le mois de janvier sans alcool, parce que c’est plus simple que d’expliquer que j’ai choisi d’arrêter de boire et que non, je ne suis pas enceinte. 

J’ai donc souri et passé mon samedi à faire du ménage et en priant pour qu’aujourd’hui ne soit pas finalement la soirée où il allait apporter une bouteille de vin rouge pour le souper. 

Pour les curieux, il ne l’a pas fait. 

Chapitre 4 – À la recherche d’une passion


5 janvier 2025 – 9 h 59

Une chose qu’avaient en commun la plupart des vidéos abordant une vie parfaite à l’écart de toutes tentations arrosées, c’est que sans alcool, les soirées peuvent être un peu plus longues. De mon côté, je n’avais jamais vraiment réalisé à quel point mes soirées étaient modelées en fonction de ma consommation d’alcool. Je ne sais pas si vous avez déjà tenté d’écouter 4 h d’une téléréalité sexualisée sur Netflix en étant complètement à jeun, mais je vous jure que ça n’a pas le même thrill que de le faire avec une p’tite coupe de rouge à la main. Vous vous direz que pour une fille qui n’aime pas avoir l’air de perdre son temps, c’est pas très cohérent. Vous avez raison. Par contre, il faut comprendre que j’étais une buveuse de type récompense. Ma coupe de vin et ma série niaiseuse, c’était selon moi mon moment pour recharger mes batteries et pour me récompenser de ma journée de travail oh combien exigeante. Je me récitais un discours élogieux comme si j’étais un génie au cerveau surchauffé qui devait prendre une minute de silence pour retourner au combat le lendemain, et éliminer le cancer une bonne fois pour toutes. 

C’est donc devant ma série pas très reposante pour essayer de me récompenser « de m’être choisi » que j’ai réalisé que le vin rouge avait le super pouvoir de rendre des choses pas mal plates pas mal le fun. Et si ma vie était pas mal plate ? 

Plutôt que de m’apitoyer sur mon sort et de me forcer à écouter la série-récompense-plate, je me suis couché sur le dos, au sol, le cellulaire à la main. J’ai repensé aux vidéos, j’ai repensé à mon ambition de devenir inspirante, et je me suis mis au défi : me trouver une nouvelle passion. Qu’est-ce que je peux bien faire pour combler mes soirées, pour permettre au génie rouillé sa minute de silence ? Puis, un déclic m’est venu. Quand j’avais 6 ans, je jouais du piano, et il me semble que j’aimais ça. 

Pour vous mettre en contexte, ma quête de l’inspirant n’a pas commencé en 2020. Je n’en étais donc pas à ma première initiative de pianiste torturé. Cependant, le 1er janvier 2025, c’était différent, j’étais différente. J’avais arrêté de boire depuis 7 jours. Le 1er janvier 2025, je me suis donc acheté un piano à 18 h 46, les jambes en l’air vers le ciel pour reposé mon dos qui me rappelait que je l’avais engourdi pendant quelques années. 

C’est donc impatient que je voulais recommencer ma carrière symphonique. Je devais toutefois contenir mon génie créatif jusqu’au 3 janvier 2025, la date promise de la livraison de ma nouvelle passion. Le Jour J, j’ai attendu impatiemment mon piano en suivant mon colis et en actualisant la page beaucoup trop souvent. C’est donc avec une profonde déception que j’ai réalisé que je suivais le mauvais colis. J’étais en train d’attendre, contre mon gré, mon thé Earl Grey décaféiné, ma passion de la veille, pour me faire des London Fog, ma nouvelle boisson de prédilection que j’ai aimée goutée dans un café en 2016. 

Quelques heures plus tard, j’ai reçu une notification m’indiquant que mon piano était à Drummondville AKA une ville loin de chez moi, repoussant l’écriture de mon histoire inspirante et la quête de ma nouvelle personnalité. Mon piano allait donc arriver mardi prochain, le 7 janvier 2025, soit deux jours après le congé des Fêtes, deux jours après la fin de ma disponibilité créative en pyjama. Le 6 janvier, je vais recommencer à travailler. La question qui me tourmente est donc la suivante : est-ce que je me suis acheté une nouvelle passion en rabais avec accessoires, me suis-je acheté une table de chevet peu pratique et ridiculement trop cher ? La réponse sera en construction à partir du 7 janvier.

Chapitre 3 – Les boulettes 


5 janvier 2025 – 00 h 03

Je pense qu’il n’y a rien de plus hypocrite que quelqu’un qui essaie de se convaincre qu’il n’a pas problème. Après m’être bombardé le crâne de Sober Tok, mon petit hamster à poursuivit sa virée folle au travers de mes neurones déjà tendus.

Le lendemain, j’avais un peu de bénévolat à faire chez des amis. En vue d’un évènement, il fallait préparer de la nourriture pour les bénévoles et les artistes. Fidèle à moi-même, je suis arrivée trois heures en retard. À ma défense, je devais absolument faire une tournée de libraire pour trouver le roman de Stéphanie Braquehais racontant son expérience personnelle de sobriété. Évidemment, je me devais de trouver ce livre qui avait pour essence d’être le moteur de mon développement personnel et spirituel. Ce livre serait le chapitre 1 de mon histoire inspirante. 

C’est donc bredouille que je me suis présentée pour mon bénévolat, un trophée de plus de mes victoires sur Amazone. Sur place, je connaissais tout le monde. Ils s’activaient comme de petites fourmis dans la cuisine et roulaient des boulettes à profusion. Ils se motivaient en alternant une gorgée de cidre et une petite pincée de farine en roulant au rythme de chanson folk québécoise. Une petite bouffée d’amour a envahi mon coeur. Une petite bouffée d’amour que j’ai voulu sortir, comme à l’habitude. Une petite bouffée d’amour qui est resté coincé dans ma gorge, qui a fermenté et qui a pétillé bizarre. Je me suis retrouvée à rouler des boulettes aussi vite que ma langue. Pas parce que je voulais me retenir de dire une niaiserie. Si vous saviez à quel point j’aurais aimé dire une niaiserie. Non, ma langue roulait au rythme de la boule de mon hamster : dis quelque chose. Soit drôle, soit intelligente. Dit. Quelque. Chose. 

Quelque. Chose. 

C’est les yeux pleins d’eau que j’ai roulée des boulettes pour un ragout que je n’ai jamais mangé. Des boulettes que j’ai roulées sans rien écouter, parce que je cherchais une excuse pour m’en aller. Pour retourner chez moi, là où la sobriété, c’est cool. Là où la sobriété est synonyme de voyage au Pérou. Là où je n’ai aucune chance de perdre mes amis parce que je n’enchaine pas des canettes de Budweiser et des petites fioles de fort. Là où ce n’est pas si pire, boire une demi-bouteille de vin par jour. 

C‘est au travers de cette réflexion que j’ai regagné mon corps au fourneau en train d’essayer doré des boulettes végans sur un rond trop petit pour la poêlonne qui chauffe pas assez. Je me suis sentie ridicule. Ridicule de continuer de faire baigner les fausses boulettes dans l’huile qui ne frétille pas, pendant qu’une autre personne faisait la même tâche que moi, mais avec le bon côté du four. J’aurais bien pu abandonner cette quête (qui ne servait absolument à rien) et céder cette tâche à ma voisine de fourneau. Toutefois, cela signifiait n’avoir plus rien à faire. Cela signifiait de me joindre aux bénévoles qui sirotaient leur verre de vin ou leur verre de cidre sur les divans, en discutant des alcools qu’ils allaient déguster au Jour de l’an. Qu’ils allaient tous se partager au Jour de l’an. Entre deux-trois bouchés de ragout. 

J’aurais dit quoi ? Alors je n’ai pas cuit les mêmes boulettes jusqu’à ce que le bon côté du four ait terminé de dorer l’ensemble des boulettes et s’empare des miennes, annonçant mon heure de partir. 

C’est donc après quelques accolades, quelques sourires tristes pas forcés, mais menteurs, que j’ai quitté mes amis pour aller pleurer dans ma voiture, pour aller pleurer sur mon divan, pour aller pleurer dans mon lit. 

Chapitre 2 – Sober tok


4 janvier 2025 – 23 h 44

Quand j’ai décidé d’arrêter de boire, la première chose que j’ai faite, c’est d’aller consolider ma décision par des recherches scientifiques élaborées : Tik Tok. J’ai donc pris mon téléphone à deux mains, ouvert l’application et rechercher : sober tok. 

J’ai trouvé différents types de contenus, qu’on peut regrouper sous trois grandes catégories :

  1. Les alcooliques à la budweiser et à l’alcool fort ;
  2. Les gens heureux, sportifs et au teint éclaté qui énumère les effets positifs de la sobriété sur leur corps et leur vie ;
  3. Les gens qui abordent les difficultés qu’ils ont traversées dans leur parcours de sobriété. 

En ce qui concerne la première catégorie, c’était des gens qui expliquaient comment la sobriété avait changé leur vie. Ils ont passé d’une consommation journalière, du matin au soir, en enchainant les canettes de Budweiser et les petites fioles de fort. J’ai trouvé toutefois beaucoup de positif dans ce genre de vidéo. Lors de mon deuxième jour sans alcool, un vendredi, je suis tombée sur une vidéo d’un gars qui abordait la sobriété le vendredi. Une petite vidéo légère qui m’a un peu donné l’impression de faire partie d’une communauté. Je suis allée voir ses autres vidéos, mais j’avais de la difficulté à m’identifier. Dans l’une de ces dernières, il énumérait les points positifs à ne plus boire d’alcool : l’hangxiety, ne plus avoir de trou noir, ne plus avoir de tremblement, etc. 

De mon côté, ce genre de vidéo peut davantage avoir pour effet de me dire que je ne suis pas si pire que ça. Après tout, une demi-bouteille de vin par soir, ce n’est pas si pire. Les trous noirs, je n’en ai jamais eu. 

Les gens heureux, eux, m’ont fait du bien. Ils m’ont donné envie d’être inspirante. Ils expliquaient qu’ils étaient maintenant sobres depuis des années, et que ne plus boire leur a permis de réaliser un tas de choses inspirantes. Évidemment, ces récits étaient toujours accompagnés de photos prises devant un paysage époustouflant. Maintenant que j’avais choisi la sobriété, il ne restait plus qu’à compter les dodos avant que toutes ces choses se manifestent dans ma vie, passant de la randonnée pédestre au Pérou aux dégustations de thé en Thaïlande. C’est ce qui est beau, avec Tik Tok. Tout à l’aire si facile… 

Sauf avec la troisième catégorie. Eux, ils te le disent que tu vas rusher. Mais c’est correct, il faut que tu l’entendes. Ton voyage au Pérou, tu dois le mériter. J’ai vu des témoignages de personnes qui ont perdu des amis, qui ont dû reconstruire leur cercle social, refaçonner leur personnalité, et j’en passe. Toutefois, ces gens-là, c’est les vrais alcooliques. C’est ceux qui enchainent les canettes de Budweiser et les petites fioles de fort. Ce n’est pas moi. 

Ou peut-être un peu ? 

Chapitre 1 – Trouver un sens au malheur


4 janvier 2025 – 23 h 12

Au début de la pandémie mondiale de Covid-19, lors du premier confinement, je me souviens m’être dit qu’il fallait faire ressortir du positif (voire du constructif) de toute cette période-là. Après tout, quand tu réalises que tu vas être confiné chez toi pendant une période indéterminée, tu te dis que tu peux pas juste la passer à manger des chips en pyjama. C’est bien bon, de la Guaccamole, mais ça finit par tomber sur le coeur. 

Je suis probablement un produit de ma génération avec un doux mélange d’effet secondaire d’avoir eu mon père comme boss, mais perdre mon temps, ça ne me rend pas bien. Quand je dis perdre mon temps, je ne te parle pas de vraiment perdre mon temps, mais d’avoir l’air de perdre mon temps. Ça ne me dérange pas de passer la journée à écouter des séries, mais je me sens moins mal si j’ai fait 2-3 brassées au travers, comme toute personne normale.

Bref, pour en revenir à la pandémie, j’avais un objectif bien précis. J’allais ressortir de la pandémie avec une histoire inspirante à raconter. Je m’imaginais me pavaner à l’Université avec un châle tricoter au crochet (si ça se dit…) en expliquant aux envieux que j’avais utilisés le confinement pour devenir une pro du crochet. Je voyais les gens entrer chez nous et être impressionner par mon appartement Feng Shui, démontrant un parfait équilibre entre l’organisation et la non-chalence. Parce que oui, je pensais avoir le temps (bon OK, je l’avais) de réorganiser l’entièreté de mon appartement suite aux précieux conseils des divers experts d’émission inspirée des classiques de Canal Vie. C’est donc comme la plupart des Québécois que j’ai commencé mon confinement plein d’espoir pour la suite. 

Pour en revenir à mon objectif noble et plein de bonnes intentions, je ne peux pas vous dire que je suis en mesure de vous résumer mon confinement par une histoire inspirante, un produit fait de mes mains ou la découverte d’une nouvelle passion. Quand je veux résumé cette période de ma vie, je pense davantage au fait que je me suis claqué les game of Throne en buvant du vin rouge dans une coupe de style médiéval et que je faisais des chears à Thyrion Lannister chaque scène où il arrivait à donner l’impression qu’il goutait au meilleur vin que la Terre n’est portée, donc chaque scène où il buvait du vin. J’accompagnais chaque gorgée de vin d’épicerie (désolé papa) d’une bouchée de pain naan

Bon, d’accord. Je retire aussi du positif de cette période. Je me suis entrainée. Beaucoup. Grâce à des vidéos en ligne, j’ai tout donné sur l’entrainement maison. C’était la première fois de ma vie que je m’entrainais vraiment. Et pas qu’un peu ! Dans la vie, je suis du genre tout ou rien. Et là, je devais créer mon histoire inspirante en plus de perdre tous les pains naan mangés dans les dernières semaines. Je m’entrainais donc tous les jours. J’allais même faire des randonnées avec mon copain dans le sentir de randonnée à côté de chez nous. Toutefois, quand je repense à cette époque, c’est quand je marche un peu trop longtemps et j’ai une douleur incroyable dans l’aine droite parce que je me suis blessée à trop vouloir devenir inspirante. Inspirante pour qui ? Je me le demande encore. 

Pourquoi je vous parle de cette période de ma vie ? Parce que je me sens tombée à nouveau dans ce type de pensée, mais avec l’alcool. 

Il y a onze jours, j’ai décidé d’arrêter de boire, et j’aimerais avoir une histoire inspirante à raconter.