Chapitre 21 — Un peu plus d’amour

1er mars 2025 – 20 h 02

Ça fait un moment que je n’ai pas pris le temps de m’arrêter pour écrire. Pendant quelque temps, je me suis dit que c’était peut-être parce que je ressentais davantage le besoin d’écrire quand ça n’allait pas. Ça voulait donc dire que ça allait bien. 

C’est vrai, que ça allait bien. Du lundi au vendredi. Au travail, j’ai consacré toute mon énergie à développer des projets qui me stimulent. À la maison, j’ai joué à des jeux de société, j’ai trouvé une vraie bonne série, je me suis ouvert à mes proches. J’ai même recommencé à lire. J’ai gardé des enfants. Je n’ai pas arrêté de « bien aller ». 

Du lundi au vendredi. 

Les samedis, c’était la journée où la fatigue de la semaine me rattrapait, et que l’huissier venait me délivrer les « je dormirai plus en fin de semaine ». J’ai changé de personnalité pour devenir la fille qui fait des siestes. De longues siestes. Du samedi au dimanche. Ça allait un peu moins bien, mais j’étais trop fatigué pour dire que ça n’allait pas, parce que j’étais trop fatigué pour penser que ça n’allait pas. Le dimanche, ça allait un peu mieux. Mais je devais tout préparer pour trop en faire du lundi au vendredi. 

Je suis encore fatiguée. Mon corps a oublié que j’avais un réveil matin pour me prévenir qu’il fallait se lever. Je pense qu’il a trop hâte de « bien aller ». Il ouvre les yeux et se dit « pourquoi pas commencer tout de suite ? ». Je me suis fixé des objectifs, et il a peur de me décevoir. 

Je pense que j’ai voulu aller trop bien rapidement, et que j’ai oublié qu’il n’y a rien qui presse. J’ai voulu tout donner du lundi au vendredi, et j’en ai perdu mes samedis et dimanches. Je me suis mis à tout faire en accéléré sans y réfléchir plus, comme si le simple fait d’arrêter de boire avait ouvert la porte du potentiel et pavé le chemin de l’extraordinaire. J’ai trop pensé à ce qui était inutile, et j’ai bougé pour ne pas penser à l’essentiel. Pour ne pas penser à moi. 

C’est vrai que c’est fatigant d’être toujours dans sa tête sans y être vraiment. 

Cette semaine, j’ai célébré mon deuxième mois sans alcool. Ce mois-ci, j’ai célébré plein de petites victoires, et je pense qu’il est temps que je me donne un peu plus d’amour. 

Chapitre 20 – Désalcoolisé

2 février 2025 – 16 h 17

Pour suivre ma progression dans le chemin de la sobriété, j’ai téléchargé une application qui compte les jours pour moi, tout en m’attribuant des badges de dopamine pour souligner les étapes que je franchis. En plus de compter les jours, je lui ai demandé de calculer les économies que je faisais maintenant que je n’accompagnais plus mes soirées de coupes de vin rouge. Au Jour 0, mon portefeuille était un élément motivateur pour franchir le cap crucial des premiers. Après tout, il faut bien le payer, ce voyage dans les montages du Pérou. 

Bref, selon mon application, je suis maintenant à 380 $ d’économies. Si on soustrait mon piano, le thé, mes patins, et tout ce qui se rattache à ma quête de passion, je ne sais plus si on peut parler d’économies. Par contre, c’est certain que c’est plus constructif de me dire que mon argent a été investi dans des loisirs plus nobles qui ont meublé au moins trois grosses soirées de mon existence. Cela étant dit, je ne peux nié avoir un petit côté impulsif, qui se faisait soulager par des arômes d’aromatique et charnu. Dans tous les cas, ces petits investissements se voulaient un petit un coup à donner pour investir dans ma nouvelle personnalité libre. Je me disais donc qu’au fil du temps, tout cela aller se rééquilibrer. 

Récemment, j’ai toutefois été confronté au deuil d’un portefeuille plus garni. Et je ne parle ici des tarifs douaniers de Donald Trump. J’ai naïvement cru que d’arrêter l’alcool, c’était vraiment d’arrêter de boire, mais accompagné un bon repas d’un bon breuvage, c’est le fun, et le thé, ça ne fait pas des miracles non plus. J’ai donc redoublé d’ardeur dans ma quête de produit désalcoolisé pour me permettre de profiter des mêmes petits plaisirs de la vie qu’avant, hangxiety en moins. 

C’est dans cet élan que je me suis présentée, hier après-midi, dans ma microbrasserie préférée appelée par leur nouvelle publicité invitant le public à venir essayer leur nouvelle bière sans alcool. Pour mettre en contexte, on était le 1er février, le premier jour du défi 28 jours sans alcool. J’étais donc vraiment excitée de retrouver des bribes de mon ancienne vie. Tout était loin d’être négatif avec l’alcool, et les soirées en microbrasserie faisaient souvent partie des beaux souvenirs. 

C’est avec un optimiste nouveau que j’ai arpenté les rues d’un quartier qui m’avait manqué. Un petit arrêt dans une boutique de thé plus tard, je croisais une pancarte indiquant « tout pour l’apéro, du vin jusqu’au fromage ». Comme le quartier inspire les produits du terroir et les belles résolutions, j’ai décidé d’aller jeter un œil, pour rapidement me rendre compte que le tout pour l’apéro était de la fausse publicité. J’allais devoir retourner choisir entre les deux seuls vins rouges désalcoolisés de la SAQ. J’ai toutefois repris la route, m’accrochant à mon objectif principal de la journée : la sure framboise gingembre. 

Arrivée sur place, j’ai dû attendre un peu trop longtemps pour deux menus différents. Un premier pour le groupe, et un second parce que la serveuse ne pouvait me parler des produits désalcoolisés et du produit pourtant mis en vedette. Les bières sans alcool occupaient une petite section dans un menu à part. À part, un peu comme moi. Le même menu que j’avais. Autrefois jugé parce qu’il contenait la carte de cocktails, et je me disais « qui peut bien aller en microbrasserie pour boire un cocktail ». J’étais maintenant celle de « l’autre menu ». 

Ensuite, j’ai vu ma table recevoir leur bière en fut, et même leur entrée, avant ma bière en canette. Même chose pour la table derrière moi, arrivée après nous. J’ai finalement décidé de me lever, pour comprendre que ma bière 0,0 % n’avait pas été commandé. Je comprends, des oublis, ça arrive. J’ai donc recommandé ma bière, pour recevoir un peu plus tard une bière en canette qui n’était pas celle que je voulais. La serveuse a rapidement versé le quart de la canette que je ne voulais pas dans mon verre, déposant les deux morceaux de mon apéro sur la table. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me chante la sérénade pour s’excuser de l’attente, mais un regard ou la bonne commande, ça aurait été apprécié. Sachez d’ailleurs que je viens d’une famille de cuisinier. La restauration, je respecte ça, et j’ai comme mot d’ordre de ne jamais être la cliente la désagréable. Je me suis donc dit que je pouvais prendre ma sure framboise gingembre pour apporté, et gouté celle qui flottait dans le verre devant moi. Après tout, je pouvais moyennement me permettre d’attendre un autre 20 minutes pour ma consommation, quand ma table s’approchait de plus en plus de la facture. Toutefois, ce n’est pas tous les produits désalcoolisés qui sont bons, et celui-là en était la preuve. 

C’est donc gêné que je suis retournée voir la serveuse pour lui dire qu’elle m’avait apporté l’autre bière sans alcool, celle d’une microbrasserie invitée. Elle m’a donc donné la bonne canette, et je suis retournée à ma table pour constater que je n’avais pas de verre. Il était toujours occupé par l’autre sure. En quelques gorgées, j’ai vidé le verre pour finalement apprécier la bière que je voulais depuis ce matin. Je n’ai pas été déçu d’ailleurs, elle était bonne. L’avoir reçu en même temps que tout le monde, n’avoir pas eu a demandé « l’autre menu », je me serais peut-être senti comme tout le monde, comme avant. Quand j’ai dû argumenter avec la serveuse pour ne pas payer la bière que je n’avais jamais demandée, insinuant que j’aurais dû ne pas vider le verre et boire directement dans la canette, je ne me suis pas sentie comme avant. J’ai compris que je ne me sentirais plus jamais comme avant. 

Je m’en suis voulu. Je m’en suis voulu de n’avoir jamais écouté la petite voix dans ma tête qui me disait qu’elle n’avait pas vraiment envie de boire, mais que je le faisais quand même. Je m’en voulais d’avoir tout bu l’alcool que j’aurais pu boire aujourd’hui. 

C’est ce qui est le plus difficile, quand on arrête de boire. Il faut tout changer. Je n’étais pas prête à autant changer, et à ce que tout change autant.

Désalcoolisé ne devrait pas rimer avec démoralisé. 

Chapitre 19 – L’antonyme de l’isolement

25 janvier — 18 h 32

L’une de mes craintes par rapport à la sobriété, c’était l’isolement. J’ai d’ailleurs vécu beaucoup de moments où j’aurais voulu être ailleurs, et ce « ailleurs » incluait souvent une position fœtale.

Hier soir, j’avais une seconde soirée avec des amis, mais pas les mêmes amis que la veille. Le genre d’ami qu’on aime, mais qu’on ne sait pas jusqu’où on peut aller. Pour calmer mon anxiété à la pensée d’une soirée sans lubrifiant social, je suis arrivée avec un sac réutilisable remplie d’une sélection de bière sans alcool et un faux vin rouge qui goutait l’eau. 

C’est après m’être servi une coupe de vin rouge qui ne goute pas le vin rouge que je me suis installée sur le divan, prête à me fondre dans la masse. En étant attentive aux gens dans la même pièce que moi, j’ai remarqué que j’étais l’une des seules qui avaient l’air de boire de l’alcool. Je me suis demandé si c’était arrivé souvent, avant, que je sois l’une des seules à boire de l’alcool. Si ça m’était arrivé d’être trop absorbé part ma propre consommation, que je n’avais pas pris le temps de bien regarder les gens autour de moi. 

C’est les mots « tu fais une pause d’alcool ? » qui m’ont sortie de ma réflexion. Ces mots, qui étaient d’ailleurs libres de jugement, étaient adressés à mon copain qui sirotait une canette nous permettant de lire « BIÈRE SANS ALCOOL ». 

Grâce à mes pratiques devant mon clavier et ma transparence gagnante de la veille, j’ai parlé d’alcool. J’ai eu envie de dire que, moi aussi, je ne bois pu d’alcool. J’ai eu envie de m’ouvrir là-dessus, et je l’ai fait. Cela a enclenché un paquet de confidence réciproque sur l’excès, la dépendance, la santé et plein de sujets qu’on n’avait jamais abordés ensemble. J’ai nommé des choses différemment, peut-être parce que c’était à voix haute. En trente minutes, j’ai appris sur moi-même et j’ai appris sur eux. J’ai passé une belle soirée, je n’ai pas eu envie de boire. 

J’ai surfé sur cette vague toute la soirée et toute la journée d’aujourd’hui. Je n’ai pas vécu d’ennui, je ne me suis pas sentie grise. Je me suis entourée de mon foyer. On a dansé, on a fait du ménage, on a chanté, on a cuisiné. J’ai ri, j’ai eu du plaisir. J’ai créé un beau moment et j’en ai profité. 

Dans les dernières années, je pense que je me suis perdue. J’ai dû en perdre des occasions de créer de vrais liens. 

Depuis les dernières semaines, je pense que je me retrouve de plus en plus. Je saisis les occasions de créer de vrais liens. 

Et si c’était l’alcool qui isolait ?

Chapitre 18 – Une belle émotion

25 janvier 2025 – 17 h 45

Ce qui est positif avec le fait d’écrire, c’est qu’on devient un peu plus à l’aise à mettre des mots sur des émotions pour les propulser ensuite par l’entremise des cordes vocales. J’ai donc opté pour la transparence en appuyant sur la fonction message vocale pour dire à mes amis que j’étais en route vers le restaurant et que je n’allais pas très bien. J’avais peur. 

Pour vous mettre en contexte, ma matinée avait été exigeante. J’avais animé une cuisine collective avec un groupe que je ne connaissais pas. J’ai naïvement insinué qu’une recette était facile, chose à ne pas dire avant d’être sur que son Chef la considère comme telle. J’ai donc eu le droit à un « non, ce n’est pas facile, ma belle ». J’aimerais ici préciser que l’emploi du compliment « ma belle » ne pouvait qu’être sarcastique, puisque je venais de me renverser environ 1KG d’œuf entier liquide en tentant de transvider une poche de 20KG dans un chaudron qui ne pouvait clairement pas contenir une telle quantité. Mes biceps non plus, d’ailleurs. J’ai ensuite eu droit à des reproches puisque je n’avais pas les ingrédients nécessaires pour le plan B qui a été décidé simultanément lors de l’emploi du fameux « ma belle ». Bien que l’après-midi fut moins éprouvant, je l’ai vécu couvert du malaise de l’avant-midi et d’œufs croutés. 

J’avais donc envie d’une coupe de vin. Très envie. D’autant plus que j’étais en route vers un restaurant qui vous demande si vous voulez une coupe de vin pour commencer avant même de vous dire bonjour. J’avais peur. Pas peur de céder, j’allais être entourée de personne qui était au courant de ma démarche. J’avais peur d’avoir mal par en dedans et d’être incapable de passer une bonne soirée. Peur d’être pu comme avant, et qu’ils m’aiment un peu moins. 

Je n’étais plus comme avant. De si peu, mais de tellement à la fois. 

Cette peur se confirmait aussi à l’aide de mon algorithme qui me montrait de plus en plus de témoignages. Évidemment, ils finissaient souvent avec la petite mention « j’ai perdu de faux amis, mais j’en ai gagné des vrais ». J’avais beau me rationaliser en me disant que cette expérience ne pouvait qu’être un filtre positif, j’espérais tellement que mes amis soient mes vrais amis.

Approximativement 1 h 30 plus tard, ma voix tremblait et mes larmes menaçaient de couler. J’étais en train de leur dire que depuis le début de ma sobriété, je vivais une gamme d’émotions prévisibles, mais surprenantes en même temps. Avoir dissocié une partie du souper en pensant à ma coupe de vin qui aurait si bien accompagné les anecdotes de mes amis et mon bol de pâte qui manquait d’assaisonnement, ça m’en faisait vivre, des émotions.

Mais de les voir tous autour de moi, un mocktail de solidarité à la main, ça m’en faisait vivre des encore plus fortes. De m’ancrer un peu plus dans le moment présent, de relâcher les épaules et d’avoir un aperçu de la vie qui pouvait m’attendre si je continuais le chemin que j’avais entamé, ça me donnait des frissons. 

J’ai quitté le restaurant le cœur 100 plus léger qu’en y entrant. 

C’est vrai que la sobriété fait vivre un paquet d’émotions, et j’étais dû pour une belle émotion. En plus, celle-ci n’était pas sarcastique. Contrairement à ma robe en laine, elle n’était pas couverte d’œuf entier liquide. Heureusement, je l’avais oublié pendant le souper, juste un peu avant de lâcher prise, juste un peu avant d’oublier le vin. 

Chapitre 17 – Un peu gris


21 janvier  2025 – 22 h 17

La semaine dernière, j’ai parlé d’ennui. Depuis, j’ai pu bénéficier de quelques soirées non alcoolisées pour étudier ce sentiment, qui semblait plus grand que le mot en lui même. Je réalise qu’il y a quelque chose de plus profond à l’ennui lorsqu’on explore la sobriété.

C’est après quelques soirées assises sur mon tabouret pas confortable à faire tout et rien à la fois que j’en suis venu à la conclusion que l’ennui était une conséquence de quelque chose d’encore plus grand. Depuis le 26 décembre 2024, je cherche à combler mes soirées d’une nouvelle passion, d’apprentissage, d’expériences enrichissantes. Par contre, je n’ai pas pris le temps de vraiment me poser la question essentielle : d’où venait cette envie, d’où venait ce besoin de me servir une coupe de vin dès mon retour du travail ? Ce n’était pas la quête d’une passion, d’apprentissage ni d’expériences enrichissantes. 

Lorsque je rentrais du travail, j’avais un profond besoin de prendre du temps pour moi. C’est ainsi que je le nommais. C’est donc assis devant la télévision, une coupe de vin à la main, que je rechargeais mes batteries avant d’attaquer les tâches quotidiennes du soir. Parfois, il me suffisait d’un seul épisode. Parfois, je me rendais à trois coupes de vin et plusieurs péripéties de personnages de télévision avant de sentir le petit regain d’énergie qu’il me fallait pour vider ma boite à lunch.

Je ne veux pas insinuer que j’étais lâche. À ma défense, je tentais de composer avec le stress quotidien relié à la vie d’adulte, un emploi qui banalise et valorise la surcharge de travail et un restant de burn-out pas traité que je trainais depuis l’Université. 

C’est vrai, que j’avais besoin de repos. Je me reposais de la seule façon que je connaissais, de la seule façon que je connais. 

Je ne suis donc plus certaine que c’est vraiment l’ennui qui m’habite les jours de semaine, entre 16 h et 20 h. C’est plutôt un sentiment d’ambigüité face à un repos que je ne sais plus comment m’accorder, que je ne me suis jamais réellement accordé. 

Je n’ai jamais vraiment appris à prendre soin de moi. Mon point dans le dos qui élance sur mon petit tabouret sans dossier constitue, selon moi, une preuve évidente de mon incompétence. 

Ce n’est pas que je ne sais pas comment prendre soin de moi. Comme tout le monde, j’ai entendu parler des bienfaits de la méditation, du yoga, du bain chaud, du sport, etc. Par contre, quand tu es habitué à prendre soin de toi sans effort (mis à part un arrêt à la SAQ), tu ne sais plus trop où aller puiser cette force-là. Du moins, pas après une grosse journée qui t’a amené à dépenser une bonne partie de ta réserve d’initiative. Tu te retrouves donc dans ta cuisine à attendre miraculeusement que ta jauge de joie de vivre se remplisse d’elle-même pour commencer le souper. Mais ça n’arrive pas. Et tu te rends vite compte que les activités qui te faisaient autrefois plaisir te semblent un peu grises. 

Je trouve que tout est un peu gris. Mais avant, tout était trop rouge

Je me sens un peu grise, mais je sais que je vais voir de belles couleurs bientôt. Le seul hic, c’est que je ne sais pas comment les dessiner, que les crayons semblent un peu lourds et que j’ai mal aux poignets.