Chapitre 21 — Un peu plus d’amour

1er mars 2025 – 20 h 02

Ça fait un moment que je n’ai pas pris le temps de m’arrêter pour écrire. Pendant quelque temps, je me suis dit que c’était peut-être parce que je ressentais davantage le besoin d’écrire quand ça n’allait pas. Ça voulait donc dire que ça allait bien. 

C’est vrai, que ça allait bien. Du lundi au vendredi. Au travail, j’ai consacré toute mon énergie à développer des projets qui me stimulent. À la maison, j’ai joué à des jeux de société, j’ai trouvé une vraie bonne série, je me suis ouvert à mes proches. J’ai même recommencé à lire. J’ai gardé des enfants. Je n’ai pas arrêté de « bien aller ». 

Du lundi au vendredi. 

Les samedis, c’était la journée où la fatigue de la semaine me rattrapait, et que l’huissier venait me délivrer les « je dormirai plus en fin de semaine ». J’ai changé de personnalité pour devenir la fille qui fait des siestes. De longues siestes. Du samedi au dimanche. Ça allait un peu moins bien, mais j’étais trop fatigué pour dire que ça n’allait pas, parce que j’étais trop fatigué pour penser que ça n’allait pas. Le dimanche, ça allait un peu mieux. Mais je devais tout préparer pour trop en faire du lundi au vendredi. 

Je suis encore fatiguée. Mon corps a oublié que j’avais un réveil matin pour me prévenir qu’il fallait se lever. Je pense qu’il a trop hâte de « bien aller ». Il ouvre les yeux et se dit « pourquoi pas commencer tout de suite ? ». Je me suis fixé des objectifs, et il a peur de me décevoir. 

Je pense que j’ai voulu aller trop bien rapidement, et que j’ai oublié qu’il n’y a rien qui presse. J’ai voulu tout donner du lundi au vendredi, et j’en ai perdu mes samedis et dimanches. Je me suis mis à tout faire en accéléré sans y réfléchir plus, comme si le simple fait d’arrêter de boire avait ouvert la porte du potentiel et pavé le chemin de l’extraordinaire. J’ai trop pensé à ce qui était inutile, et j’ai bougé pour ne pas penser à l’essentiel. Pour ne pas penser à moi. 

C’est vrai que c’est fatigant d’être toujours dans sa tête sans y être vraiment. 

Cette semaine, j’ai célébré mon deuxième mois sans alcool. Ce mois-ci, j’ai célébré plein de petites victoires, et je pense qu’il est temps que je me donne un peu plus d’amour. 

Chapitre 13 – Rocky Balboa


10 janvier 2025 – 16 h 41

Le souper fondu de la veille fut un mélange entre l’agréable et le désagréable. C’était le premier souper depuis le 25 décembre où je n’étais pas accompagnée de mon « plus un » aromatique et charnu, mais qu’il faisait l’honneur de sa présence à tout le reste de la tablée. C’est donc avec grâce que j’ai pu dévisser ma bouteille de vin sans alcool pour me fondre parmi les convives. À ma grande surprise, la première gorgée fut différente de celles des jours précédents. Elle me laissa entrevoir un gout plus fruité que lors de ma dernière tentative, comme si mes papilles gustatives commençaient à se résigner pour apprendre à les connaitre. Un autre miracle s’est produit lorsque j’ai précédé une gorgée de mon 0,0%-ish d’une bouchée de fromage triple crème, augmentant légèrement le plaisir dans ma région buccale. Une petite découverte d’un simili accord mets et vin que je comptais bien reproduire. 

Avant d’aller plus loin, une mise en contexte s’impose. Quelque part entre 2016 et 2018, j’ai eu une chirurgie maxillofaciale. Pour les chanceux qui ne savent c’est quoi, en gros, je me suis fait cassée la mâchoire par quelqu’un avec un diplôme. C’est en étouffant les cris de mon intuition que j’ai passé sous le bistouri avec la crainte de me situer dans le faible pourcentage de gens qui perdent de la sensibilité au niveau de la région buccale. J’avais d’ailleurs passé la veille à me tapoter la lèvre « d’un coup que… ». Un coup qui est arrivé et qui me prive encore aujourd’hui des sensations d’une partie de ma lèvre, de mes gencives et de mon palet. D’ailleurs, je tiens à préciser que je me demande vraiment où ils prennent leur statistique, puisque je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire partie. Ni moi ni tous ceux que j’ai croisés qui ont eux aussi un peu peur de se baver dessus en mangeant. Toutefois, je prends désormais un plaisir malsain à me tripoter l’insensibilité pour gérer mon stress. Chose que j’ai faite autant lors du souper d’hier qu’à son anticipation.

J’ai donc navigué les pauses de cuisson de morceau de fondue en écoutant les hôtes raconter des anecdotes sur leur vie et en me faisant ma propre dégustation de vins et fromages, évitant le regard d’un vin que j’avais aimé trop longtemps. Ma vigilance faisant parfois des pauses syndicales me confrontait à mon vieil ami et son regard mélancolique (c’était peut-être le mien), me poussant à mordiller ma lèvre inférieure insensible une fois de plus. 

Lors du troisième ou quatrième service, je me suis rassise à la table, fière de porter le titre de bon invité qui a desservi la table sans qu’on le lui demande. En écoutant sans écouter, j’ai observé mes partenaires de souper commencer à ramollir sur les coussins de chaises. C’est là que mes papilles ont semblé comprendre, et qu’elles ont redoublé d’efforts pour apprécier le désalcooliser. C’était plaisant, avoir toute ma tête maintenant plus de migraine. Mes regards vers mon vieil ami n’étaient désormais plus mélancoliques ni tragiques. Ils étaient perplexes, comme si j’avais appris que mon grand ami était un faux ami qui n’avait jamais été mon ami. 

Au moment du cinquième service, je le regardais en me demandant pourquoi il continuait de frapper quelqu’un de plus faible que lui. 

Au sixième service, j’ai souhaité à tout le monde une bonne soirée pour aller commencer ma routine dodo. Tout en relevant la tête en même temps que ma brosse à dents, j’ai croisé le regard de Rocky Balboa dans le miroir, AKA moi avec une bulle de sang sur ma lèvre indépendante qui ne communique plus avec moi. Une bulle de sang semi-imposante, que personne n’avait soulignée, qui avait peut-être échappé au regard de l’ivresse. Plutôt que de m’insurger, j’ai ri. 

C’est vrai que j’étais un peu comme Rocky Balboa. Et je venais de gagner un pas pire combat.